Les concerts dans un parking pour surmonter les confinements

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Les concerts dans un parking pour surmonter les confinements

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Xavier Ferran, initiateur de la saison clandestine Les concerts dans le parking
Xavier Ferran, initiateur de la saison clandestine Les concerts dans le parking
- Xavier Ferran

Comment les artistes ont-ils surmonté la longue attente avant la reprise de la vie culturelle ? Pour beaucoup, en se réinventant : ils ont joué dans les hôpitaux, les prisons ou les écoles, ou devant les caméras. Le pianiste Xavier Ferran a décidé d'offrir sa musique dans le parking de sa résidence.

Nous sommes début mai, en plein 3e confinement. Il est presque 20h, c'est le couvre-feu. Pourtant, au pied d'une grande résidence dans le 20e arrondissement parisien, plusieurs personnes, parents avec enfants, couples, amis, entrent à la queue leu-leu par une lourde porte. « _Vous avez quelle couleur de kapla ? » e_ntend-on de l’intérieur. Montrer son kapla, cela veut dire posséder le sésame pour franchir cette porte et accéder à un vaste parking souterrain. Mais cela veut surtout dire pouvoir assister aux concerts. Car depuis novembre dernier, ce parking est l'écrin d'une saison musicale gratuite et clandestine, dont l'initiateur est le pianiste improvisateur Xavier Ferran, posté à l'entrée ce soir-là pour accueillir les invités. 

« On a juste dévissé trois néons pour arriver à mettre le public dans le noir et à créer une espèce de scène, le plateau bien éclairé, le duo des musiciens, il y a tout pour que ça fonctionne », sourit le pianiste.

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Tout est parti d'un simple concours de circonstances, raconte-t-il. Engagé par les théâtres privés parisiens, occupé 6 jours sur 7 pendant trois ans, avec la crise sanitaire il se trouve du jour au lendemain sans travail. 

« Ça s'est complètement arrêté, et c'était très dur. Dans le théâtre subventionné, l'argent n'est pas directement lié à la billetterie et au remplissage de la salle. Donc on a continué à faire des résidences et des créations. Quand vous êtes dans une logique de théâtre privé, c'est mort. Du coup je me suis retrouvé comme à 25 ans quand j'ai commencé le métier, avec un champ complètement vide qui s'ouvre à vous. »

Quand le pianiste est au chômage, son piano l'est aussi. « Je raconte toujours l’histoire de ce pianiste qui est mon histoire qui ne peut pas travailler autre part que dans un box dans son parking souterrain parce qu’en ce moment tout le monde est à la maison. Donc quand j’ai vu ce box j’ai vu que c’est un lieu pour faire des concerts. » 

En effet, surpris par l'acoustique inhabituellement bonne pour un parking, le pianiste décide d'y organiser un premier concert. « C’était une nécessité. Quand on se met à improviser chez soi et qu'on trouve un truc génial, on se met à espérer que quelqu'un l'a entendu sur la Terre. Si cette musique ne tombe dans l'oreille de personne, c'est un coup d'épée dans l'eau, c'est déprimant, raconte le pianiste. Et puis, c'était un pied-de-nez aux décisions gouvernementales : je n'ai jamais compris pourquoi les salles de spectacles sont fermées, alors que les églises sont ouvertes ? »

Les concerts pour recréer des liens 

Six personnes, le nombre autorisé par le protocole sanitaire, sont conviées au premier concert, « ce qui ressemblait plus à une audition devant un jury », avoue le musicien. Alors il décide d'autoriser à l'entourage proche de chaque invité à venir aussi. La jauge est fixée à 17 places, et le musicien trouve un système d'invitations ingénieux : huit kaplas de couleurs différentes passent de main en main. On peut inviter ou être invité, et pour ne pas enfreindre le couvre-feu, Xavier Ferran veille à ce que les kaplas circulent dans le périmètre de la résidence.  

« Pour moi ces concerts ne sont pas des moments où on tisse du lien social. Les gens arrivent masqués, il fait très froid, les gens ne restent pas longtemps pour boire des coups et discuter, mais le tissage du lien se fait après. Et c'est là où c'est sympa : quand vous avez un kapla, vous vous promenez dans la résidence, vous tombez sur quelqu'un et vous lui proposez un concert gratuit. Et du coup, vous parlez à quelqu'un à qui vous n'auriez jamais parlé », constate-t-il.  

Les spectateurs sont placés dans le respect de la distanciation, on s'y rend masqués et le gel hydroalcoolique est à disposition. Pour une expérience optimale, le pianiste prévoit même des plaids : le parking reste un endroit non chauffé. Le secret est bien gardé : la date du prochain concert n'est annoncée qu'à la fin du précédent.

« Très vite dans ces concerts j'ai vu qu'il y avait une nécessité réciproque, on avait besoin du public et le public avait besoin de nous. Et de recréer ce lien, c'était très fort », raconte le pianiste.

Au départ, Xavier Ferran jouait seul, un récital tous les quatre jours. Ce soir là, il a convié deux complices, eux aussi résidents de l'immeuble : le batteur Nicolas Groupe et la danseuse Julie Lamoine, pour une performance autour de l’improvisation. Dans le public, Delphine, invitée ce soir-là par une amie résidente : « Ça fait du bien, se réjouit-elle. C'est mon premier concert en un an. Ça fait un an qu’on a pas de soupape autre que la boisson et la nourriture, donc oui, ça fait un bien fou. »

Une trentaine de concerts et quasiment 300 spectateurs plus tard, Xavier Ferran décide de faire un album réunissant la musique, les ambiances, les photos et les témoignages, pour garder « une mémoire de ce que l'on a vécu cet hiver », explique-t-il. « Quelque part, j’avais besoin de ça. De me retrouver dans ce parking à travailler mon piano des heures et des heures, ça va faire un disque dont je suis fier. »

La sortie de l’album le 23 juin, a été fêtée, comme il se doit, avec un dernier concert dans le parking.

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