[COVID 19] Ce que l'on sait sur la propagation du virus par la pratique musicale

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[COVID 19] Ce que l'on sait sur la propagation du virus par la pratique musicale

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L'ensemble baroque Collegium 1704 en concert diffusé en streaming du Printemps de Prague, mai 2020
L'ensemble baroque Collegium 1704 en concert diffusé en streaming du Printemps de Prague, mai 2020
- Source : facebook

La musique, art de partage par excellence, est frappée de plein fouet par l'épidémie du Covid19, et la profession est à l'arrêt depuis plusieurs mois. Quels sont les risques éventuels de la propagation propres à certaines pratiques musicales ? Éléments de réponse expliqués par les scientifiques.

Quels sont les risques de la propagation du Covid-19 propres aux pratiques musicales ? Peu d’études peuvent pour l'instant apporter une réponse définitive à cette question,  mais certains résultats déjà disponibles peuvent éclairer professionnels et amateurs sur les dangers éventuels de certaines disciplines dites à risque. 

Petit rappel des faits : la propagation du virus

Il n'est pas inutile de rappeler ici la façon dont se propage le virus du Covid-19, selon les connaissances scientifiques actuelles. Le plus souvent de personne à personne par des gouttelettes respiratoires et les aérosols produits par une personne infectée, symptomatique ou non, lorsqu’elle tousse ou éternue, mais aussi lorsqu’elle parle ou respire avec la bouche ouverte. Les aérosols sont projetés lorsque l’air sort de la bouche, et contiennent de très fines gouttelettes qui restent flotter dans l’air pendant 8 a 14 minutes, selon les dernières recherches. 

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Autre voie de contagion possible : en touchant des objets contaminés. Le virus est ainsi transporté à la bouche, le nez ou les yeux, portes d'entrée dans l'organisme . Selon différentes sources, le virus peut rester pendant plusieurs jours sur une surface.  Il en résulte que certaines pratiques musicales telles le chant, la pratique orchestrale et chorale, la pratique des instruments à vent et les instruments partagés par plusieurs musiciens, seraient susceptibles à véhiculer la propagation du Covid-19, d’autant plus que les mesures préconisées par les autorités sanitaires - la distanciation physique, le port du masque ou encore la désinfection des surfaces partagées - y sont difficilement applicables.

Pour l’heure, les études scientifiques spécifiques sur le sujet sont peu nombreuses, mais certains résultats sont néanmoins disponibles et évoluent au fil des semaines. 

Le chant choral

Plusieurs cas de contamination massive par le Covid 19 dans les chorales ont été rapportés par la presse, dont le concert du Chœur Mixte d'Amsterdam début mars au Concertgebouw. 102 des 130 choristes ont été infectés par le virus, et quatre personnes en sont mortes. Le même scénario macabre s'est reproduit dans l'Etat de Washington, en Allemagne ou encore en Angleterre.  Cela pose question : est-ce que le fait de chanter, notamment dans les endroits fermés, pourrait augmenter le risque de propagation du virus ?

« Malgré le fait que les études spécifiques sur les effets du chant soient pour l'instant peu nombreuses,  les recherches qui concernent le sport ou la respiration normale suggèrent que n'importe quelle activité qui demande de parler fort, de crier, de chanter ou de respirer profondément est considérée plus dangereuse, particulièrement lorsqu'elle se déroule dans un endroit fermé où il y a beaucoup de monde, explique dans un document de synthèse l'Association européenne du chant choral, et rajoute : « chanter en groupe dans le contexte actuel est considéré par de nombreux experts plus dangereux que d'autres activités culturelles . » 

Le site VirMus, plateforme de ressources (en anglais) lancée par un groupe de chercheurs de l’Université technologique de Delft au Pays-Bas, en collaboration avec l’orchestre philharmonique de Rotterdam, précise : « Lorsqu’on chante, la vitesse de l’air pourrait être plus importante que lorsqu’on parle, ce qui fait que les gouttelettes sont projetées plus loin. » Certains spécialistes avancent l'hypothèse que de chanter les voyelles et certaines consonnes à bouche ouverte, sans obstruction aucune, augmente la projection des aérosols, et par ce fait des particules virales. Par conséquent, si la projection des gouttelettes en condition normale est d’1,5 mètre, la distance entre les chanteurs devrait être plus importante. « Quand on chante, les fines gouttelettes sont libérées en plus grande quantité que quand on parle. Le chant s’apparente à ce niveau à la toux, » alerte le VirMus. 

Une autre étude menée par les professeurs Christian Kähler et Rainer Hain de l'Université militaire de Munich a démontré par contre qu'avec les chanteurs professionnels, il n'y a presque pas de mouvement d'air au-delà d'une distance d'environ 0,5 m, indépendamment de la force et de la hauteur du son, ce qui laisse à supposer que la projection des particules virales au-delà de cette limite soit très peu probable. Les scientifiques recommandent néanmoins une distance de sécurité entre les chanteurs d'1,5 mètre pour éviter toute infection par gouttelettes.

Les mêmes mesures de précaution sont à observer lors des cours de chant individuels, comme le précise l'article des professeurs Claudia Spahn et Bernhard Richter de l'Institut de la médecine de la musique et de la Clinique universitaire et de la Haute école de musique de Freiburg, disponible en traduction française par Nicolas Stroesser : « une distance de 2 mètres en prenant en compte les conditions spatiales : taille suffisante de la salle de cours, et une pause de 15 minutes pour assurer une ventilation entre les différents élèves. »

La pratique orchestrale

Comme pour toute autre activité musicale d'ensemble, la proximité physique des musiciens d’orchestre dans l'état actuel de la pandémie pose question, mais plus encore les risques de propagation du virus par les instruments à vent, tels les cuivres et les bois. Plusieurs études ont été lancées sur le sujet, et certains groupes de recherche, notamment en Allemagne et en Autriche, ont publié les premières conclusions. 

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Les résultats obtenus sont plus optimistes qu'attendu. La revue La medecine des arts en donne des principaux éléments dans un dossier disponible en ligne : 

« Selon les connaissances physiologiques actuelles, il semble que seules de petites quantités d'air par unité de temps s'écoulent réellement de la bouche du chanteur ou du pavillon de l'instrument à vent, peut-on y lire. Les mesures actuelles (5 mai 2020) effectuées auprès de musiciens de l’ Orchestre symphonique de Bamberg confirment ces hypothèses. Les mesures ont été effectuées par une entreprise spécialisée dans la mécanique des fluides. Le risque d’une propagation accrue des aérosols liée à la pratique du chant ou d’un instrument à vent n’a pas été scientifiquement étudié pour le moment. En revanche, il peut y avoir d’importantes productions de mucus par ces instrumentistes et chanteurs, indépendamment de la production sonore », poursuit l’auteur de l’article.

Résultats confirmés par l'étude effectuée par l'Orchestre philharmonique de Vienne. « Pour pratiquer la musique du plus haut niveau, pour obtenir le son et la qualité de la performance auxquels notre audience est habitué, et afin d'efficacement communiquer entre nous de façon non-verbale pendant le concert, nous ne pouvons pas jouer seuls ou à une trop grande distance - nous avons souhaité trouver une solution, a argumenté le président de la formation Daniel Froschauer.  « On ne pense pas que l'air projeté par un musicien dépasse les 80 cms autour de sa tête, » a commenté le professeur Fritz Sterz la vaste étude scientifique effectuée en collaboration avec l'orchestre. 

Le flûtiste Karl-Heinz Schütz de l'Orchestre philharmonique de Vienne
Le flûtiste Karl-Heinz Schütz de l'Orchestre philharmonique de Vienne
- Mischa Nawrata/facebook

La distanciation physique est évidemment préconisée, selon La medecine des arts : « il ne semble pas nécessaire de dépasser de manière significative la distance de 3 à 5 mètres. Une distance de 2 m semble être suffisante comme distance minimale pour les instrumentistes à vent et les chanteurs, puisqu’à cette distance, aucun mouvement d’air supplémentaire dans la pièce pendant le jeu ou le chant n’a été détecté lors des mesures.»  Et l'utilisation des protections complémentaires avec des matériels de type anti-son, « avec comme mesure de les situer dans le champ de mobilité de l’instrument joué.»

Les cours individuels avec les instruments à vent s'apparentent à ce titre aux cours de chant. Cependant, selon La médecine des arts, un certain nombre de mesures d'hygiène spécifiques doivent être observées, et notamment la collecte du liquide de condensation ou la salive dans des lingettes jetables en évitant d’expulser l'eau condensée des clés d’eau en soufflant violemment pendant les pauses de jeu, ou encore le nettoyage des instruments, des pupitres et autres surfaces de travail à proximité des instruments à vent, y compris l'écran de protection  et le sol, après la répétition ou le concert. 

Les instruments partagés

Dans les orchestres comme dans les établissements d'enseignement musical, un risque supplémentaire de propagation du virus par le contact et la manipulation représenteraient les instruments partagés par plusieurs musiciens, enseignants ou élèves : pianos, harpes, percussions ou contrebasses. Pas d'études disponibles à ce jour là-dessus. Pour les pianos, La médecine des arts conseille à ce titre à chaque instrumentiste de se laver les mains pendant au moins 30 secondes avant de jouer et de nettoyer les touches avec des lingettes jetables avant et après la pratique, et dans la mesure du possible, d'individualiser au maximum les instruments. Mais que faire pour certains instruments, pour lesquels la désinfection régulière peut être contre-indiquée, voir nocive ? 

L'institut technologique des métiers de la musique et la Chambre Syndicale de la Facture Instrumentale publient un guide détaillé d'entretien des instruments partagés dans le contexte de la prévention de la propagation du Covid-19 , destiné aux musiciens d'orchestre ou aux enseignants. Et conseillent notamment « la quarantaine dont la durée varie en fonction des surfaces, de la quantité initiale de virus et de l’humidité. Une durée de 6 à 9 jours est fortement recommandée sur la base des connaissances actuelles.»  Le nettoyage et la désinfection sont préconisées sous condition « d'éviter de mettre les produits désinfectants conseillés (alcool, eau de javel ou désinfectants norme 14476) sur les instruments sans avoir consulté la liste de compatibilité et les protocoles communiqués par la CSFI », qui peuvent dissoudre les vernis ou altérer les matières, et ainsi durablement abîmer l'instrument.  

Le port du masque est vivement conseillé pendant tous les moments d'échange et de proximité autres que le jeu et le chant. 

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