La Rumba congolaise, la musique de l'indépendance (et de la SAPE)

Papa Wemba était l'une des icônes de la rumba congolaise et de la SAPE.
Papa Wemba était l'une des icônes de la rumba congolaise et de la SAPE.
La Rumba congolaise, la musique de l’indépendance (et de la SAPE) - Culture Prime
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La Rumba congolaise, la musique de l'indépendance (et de la SAPE)

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La rumba congolaise a intégré le patrimoine immatériel de l’humanité fin 2021 : le signe de l’importance de ce style musical dans l’histoire des musiques mondiales. Ses chants en lingala, ses guitares électriques et ses "rois de la SAPE” ont marqué le XXe siècle.

« Sapés comme jamais » chantait Gims en 2015 : un hommage à la SAPE (la Société des ambianceurs et des personnes élégantes). Cette mode culturelle et vestimentaire, qui promeut le vêtement chic et cher, a connu la célébrité dans les années 1970-80 avec le "roi de la SAPE", Papa Wemba, qui était aussi une star de la rumba congolaise. Le genre musical a accompagné le mouvement de la sapologie, mais aussi l'histoire des deux Congo et de l'Afrique.

L'histoire de la rumba congolaise en vidéo :

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La rumba congolaise est née dans les années 1930, sur les rives du fleuve Congo, après l’arrivée sur le continent africain de la rumba cubaine. Ses origines remonteraient, selon certains, au royaume Kongo, où l’on pratiquait une danse appelée Nkumba (nombril).

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Au XVIe, avec la traite négrière, les esclaves africains traversent l’Atlantique jusqu’à Cuba, où leurs pratiques musicales se mélangent à celles des habitants, et notamment des colons espagnols. « Au tout début du XVIIe siècle apparaît à Cuba une musique qui est le son cubano_, peut-être le premier genre de musique créole qui soit identifié_ », explique Bertrand Dicale, journaliste, producteur radio et auteur.

La rumba cubaine, issue de cette musique créole, est diffusée sur le continent africain dans les années 1930, sur des 78 tours apportés par des Kroumen : des marins africains qui naviguent dans le monde et remontent notamment le fleuve Congo. A Brazzaville et Léopoldville (ex-Kinshasa), le style s'impose rapidement. « Cette musique, il faut bien réaliser qu'elle est extraordinairement moderne, c'est une musique qui bouge, c'est une musique de la nouveauté, avec une rythmique très prononcée, s_ouligne Bertrand Dicale. Et elle séduit d’autant plus facilement que c'est une musique qui a des racines africaines_ ».

Des 78 tours en lingala

Les deux Congo sont alors des colonies française et belge. A Léopoldville, la capitale de l’ex-Congo belge, des studios d’enregistrement sont créés par des commerçants grecs. Et en 1947, le premier tube de rumba congolaise est édité : Marie-Louise de Wendo Kolosoy.

Si la rumba congolaise emprunte au rythme cubain à ses débuts, elle affirme son identité avec sa langue chantée : le lingala. « Evidemment, il y a très vite le français, qui est la langue d'enregistrement d'une bonne partie de la production congolaise, indique Bertrand Dicale, mais surtout le lingala, qui a des qualités sonores rythmiques très favorable à cette musique. Des musiciens dont la langue maternelle n'est pas le lingala préfèrent chanter en lingala : c'est une langue qui sonne mieux. »

"Indépendance cha cha", l'air de la décolonisation

Déjà un phénomène musical au Congo et en Afrique, la rumba congolaise, en 1960, devient un symbole de la décolonisation. Le 30 juin 1960, l’indépendance du Congo belge est déclarée - Il deviendra le Zaïre en 1971, puis la République démocratique du Congo en 1997 - et le 15 août 1960 : l'indépendance de l’ex-Congo français est proclamée, il devient la République du Congo.

Au moment de la déclaration d’indépendance du Congo belge, à Bruxelles, alors que les négociations se tiennent, Joseph Kabasele, dit Grand Kallé, compose avec son groupe l’African Jazz un morceau qui devient un véritable hymne de l‘émancipation : Indépendance cha cha. « C'est vraiment tout ce qu'on peut faire d'idéal avec une chanson et un peuple, quelque chose qui a une fonction d'hymne, quelque chose qui a une fonction d’air à danser et quelque chose dont on se souvient aujourd'hui, 60 ans plus tard, avec une immense émotion », résume Bertrand Dicale.

Les paroles en lingala de cet air de rumba congolaise résonnent au Congo et dans toute l’Afrique :

« Nous avons obtenu l'indépendance. Nous voici enfin libres. A la Table ronde nous avons gagné. Vive l'indépendance que nous avons gagnée. »

Les guitares électriques congolaises

Dans les années 1960-1970, la rumba congolaise évolue avec l’arrivée des guitares électriques dans l’instrumentarium du genre. « Les guitaristes qui branchent leur guitare électrique, à Kuala Lumpur, à New York, à Berlin ou à Tokyo, quand on leur fait écouter un morceau de rumba congolaise, ils tendent l'oreille », souligne Bertrand Dicale.

Les guitares deviennent un élément central dans les orchestres de rumba, elles jouent à la fois le solo et la rythmique, quitte à prendre le pas sur d’autres instruments. « On a une singularité dans la rumba congolaise sur le planétarium des musiques : le rôle des cuivres et des guitares électriques va être à égalité, à la fois dans le son et dans le prestige des musiciens. »

27 min

La rumba congolaise, bande-son de la SAPE

De nouvelle stars de la rumba se font connaître internationalement, comme Papa Wemba. Ce dernier est aussi l’une des icônes de la SAPE _(_la société des ambianceurs et des personnes élégantes).

Le phénomène de mode apparu au cours des années 1960 consiste à s’habiller avec de grandes marques, principalement européennes, et de façon très étudiée : « Il y a toute une espèce de grammaire, des codes : des pantalons à pinces, si possible deux pinces, un peu trop courts pour voir les chaussettes Burlington_. Quand on achète un costume, il ne faut surtout pas découdre la marque sur la manche gauche... Certains tiennent même à laisser pendre les étiquettes avec le prix des vêtements._ »

Sapeurs à Brazzaville en 2008.
Sapeurs à Brazzaville en 2008.
© Getty

Cette mode vestimentaire est intrinsèquement liée à la rumba congolaise, des groupes comme Zaïka Langa Langa ou Viva La Musica deviennent la bande-son préférée des Sapeurs. Mais la SAPE n'est pas qu'une mode, elle porte aussi un dessein politique. « On est dans une exubérance vestimentaire qui prend exactement le contrepied du régime de Mobutu avec ses vêtements un peu austères et cette exigence de porter des costumes africains. »

Les liens entre la SAPE et la rumba continuent de se lier au XXIe siècle, en témoigne la chanson de Gims, Sapés comme jamais, sortie en 2015. « C'est évidemment une référence à cette culture des sapeurs des années 80, la culture du père de Gims au même âge, quand son père travaillait avec Papa Wemba », explique Bertrand Dicale.

En décembre 2021, la rumba congolaise est admise sur sa liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco, elle y rejoint notamment la rumba cubaine. Le dossier avait été déposé par les deux Congo, pour honorer une musique fédératrice et représentative de l'identité congolaise.

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