Disparition de Fou Ts'ong, le "poète du piano"

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Disparition de Fou Ts'ong, le "poète du piano"

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Le pianiste Fou Ts'ong en 1965 à  Ludwigsburg Palace
Le pianiste Fou Ts'ong en 1965 à Ludwigsburg Palace
© Getty - Helmut Morell/picture alliance

Le pianiste chinois Fou Ts’ong est mort hier après-midi à Londres d’une pneumonie due au Covid-19. Il était âgé de 86 ans.

Le pianiste Fou Ts’ong laisse un grand vide derrière lui, surtout auprès de ceux qui l’ont connu et ont étudié à ses côtés. Ils gardent le souvenir d’un interprète sincère, entier, authetique.

Grand interprète de Chopin 

Né le 10 mars 1934 à Shanghai, Fou Ts’ong s’intéresse à la musique dès l’âge de quatre ans. Un peu plus tard, il débute le piano aux côtés de Mario Paci, pianiste et chef italien. A partir de 1953, il complète sa formation à Varsovie avec le pianiste Zbigniew Drzewiecki. Déterminé, il apprend le polonais afin de mieux comprendre la musique de Chopin. 

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Ainsi, il excelle dans le genre de la mazurka et, en 1955, il remporte le troisième prix et le prix spécial de la Mazurka au Concours International de Piano Frédéric-Chopin à Varsovie. 

A la fin des années 1950, il part s’installer à Londres et se produit un peu partout dans le monde. Il est alors considéré comme l’un des plus grands interprètes de Chopin, mais aussi de Debussy, Mozart, Schubert - des compositeurs de chevet qu'il enseigne à ses élèves, ainsi que Schumann, Haydn, Beethoven, Scarlatti

Selon le pianiste François-Frédéric Guy, qui a compté parmi ses élèves, “lui le pianiste était fou de _Berlioz__, compositeur qui n’a pourtant jamais écrit une oeuvre pour le piano. Il était passionné, possédait les manuscrits de grandes oeuvres de Berlioz chez lui, expliquait comment Berlioz avait eu une influence importante sur des compositeurs complètement inattendus comme Chopin.”_ Le début de la Fantaisie en fa mineur de Chopin aurait ainsi été influencé par la Grande symphonie funèbre et triomphale de Berlioz.

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Un musicien authentique

Partout où il enseigne, Fou Ts'ong marque les esprits. “C’est un artiste qui a énormément compté pour moi, explique François-Frédéric Guy, un de mes trois mentors avec Leon Fleisher et Karl-Ulrich Schnabel. Je l’ai connu dans les années 90, en 1993, il était dans le jury quand j’ai passé le concours International de piano de Leeds.” Séduit par le jeu du jeune François-Frédéric, Fou Ts’ong le prend sous son aile et lui propose de suivre ses cours dans une Fondation près du Lac de Côme, avant d'assister à des cours particuliers chez lui à Londres. 

Le pianiste François Dumont empruntera un parcours quasiment similaire et lui aussi garde un souvenir précieux de son mentor. “Il avait ce pouvoir de transformer un musicien en seulement une heure de cours, par quelques mots, quelques gestes. Il avait un magnétisme. En tant qu'étudiant, à côté de lui, on sentait qu'il se passait vraiment quelque chose.”

Pour François Dumont, Fou Ts’ong était un pianiste “complètement entier, intègre, intuitif. Quand il jouait, il n’y avait pas une demi-seconde qui ne soit de la pure musique.” Il était passionné, et acharné dans son travail. Son jeu était toujours tourné vers l’émotion, le vécu, et était anti-académique, anti-dogmatique. 

S'il pouvait être “imprévisible” dans sa manière de penser, il l'était aussi dans son rapport avec ses étudiants. “Quand quelque chose lui plaisait, il pouvait nous porter aux nues de manière extraordinaire, et de la même façon, quand on manquait de vision ou qu’on avait une faiblesse de phrasé, cela pouvait profondément l’attrister”.

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Le poète du piano

Le père de Fou Ts'ong, Fu Lei, était un célèbre poète et traducteur chinois. Persécuté au moment de la révolution culturelle, il se suicide avec sa femme en 1966. Il est réhabilité vers la fin des années 1990. Les lettres écrites à son fils Fou Ts’ong ont été publiées à titre posthume et sont devenues une référence en Chine. “Fou Ts’ong a connu une histoire personnelle et politique dramatique”, note François-Frédéric Guy.

C’est de son père que Fou Ts’ong tient son goût pour la littérature. Il est d'ailleurs surnommé le “Poète du piano”. L’écrivain Hermann Hesse disait de lui qu’il était l’interprète de Chopin “le plus authentique” de toute l’histoire.

“Ce qui était fabuleux avec lui, c’est qu’il avait cette double culture asiatique et occidentale, précise François-Frédéric Guy. Il faisait la passerelle entre les deux et avait cette capacité à mettre son influence asiatique au service de la vérité musicale du répertoire européen.” Une influence qui rend son interprétation de Debussy “absolument parfaite”

Cependant, François-Frédéric Guy comme François Dumont déplorent que cet immense pianiste soit aujourd'hui encore méconnu en France.

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