Tendez l'oreille ! Comment sonne le Roi Lion en choral de Bach ?
Le Roi Lion au XVIIe siècle ! Petite expérience musicale et foutraque de 5 minutes : la chanson d'Elton John "L'Amour brille sous les étoiles" (Le Roi Lion, 1994) déclamée en prononciation française ancienne restituée... puis déclinée spécialement pour France Musique en choral de Jean-Sébastien Bach
Facétie idiote de notre part, évidemment ... mais c'est aussi l'occasion de faire le point sur ce qu'on appelle "prononciation française restituée" aux XVIe et XVIIe siècles, et d'apprendre comment mettre une mélodie en choral de Jean-Sébastien Bach.
Avec la précieuse collaboration d'Alice Tacaille (maître de conférence à l'Université de Paris-Sorbonne Paris IV et spécialiste du XVIe siècle) et Simon Prunet-Foch (titulaire des orgues de Sainte-Marie des Batignolles, Paris 17ème).
Remerciements scientifiques à Benoît Menut et Diane Omer.
L'amour brille sous les étoiles
« C'est terrible, c'est affreux,
[différents "r" possibles, nombreux]
Et, ils se moquent de tout.
[a priori "t"silencieux au XVIe siècle en fin de vers]
L'amour s'amène et nous, pauvres pouilleux,
["pouilleuss" possible mais déjà tardif]
Ils nous jettent tous les deux.
Sous les diamants des étoiles :
[trois syllabes à "di-a-mants" ; étoèle(s), pas étouèle]
Quel magique univers !
Mais dans cette romantique atmosphère,
Ça sent mauvais dans l'air.
[mouvais]
L'amour brille sous les étoiles
[étoèle]
D'une étrange lumière.
La terre entière, en parfaite harmonie,
[har-mo-ni-e]
Vit un moment royal.
[roèal]
Je voudrais lui dire je t'aime,
Mais comment lui avouer
Mon secret, mes problèmes ?
Impossible ! Elle serait trop blessée !
Quel lourd secret cache-t-il
[cache-ti]
Derrière tant de rancœur ?
Moi je sais qu'il est ce roi en exil
[en egzi]
Qui règne dans mon cœur
L'amour brille sous les étoiles
[étoèle]
D'une étrange lumière
La terre entière, en parfaite harmonie
Vit sa plus belle histoire
[histoèr]
L'amour brille sous les étoiles
Illuminant leurs coeurs,
Sa lumière éclaire à l'infini
Un sublime espoir
[espoèr]
S'ils s'enfuient vers leur rêve ce soir
[soèr]
Dans leur folle ronde
Si notre ami nous dit "au revoir"
[revoèr]
Nous serons seuls au monde. »
Quelles sont les sources ?
- Les listes de rimes présentes dans les traités d'art poétique aux XVe et XVIe siècle (les "arts de seconde rhétorique", voir M. E. Langlois, 1902).
Exemple :
- "Mer" rime avec "aimer", jamais avec "blessée" par exemple.
- les "r" peuvent devenir dans certains cas des "z" ("mon pèze, n'ai-je pas mauvaise mèze ?).
- "exil" devient "euzi" ; "péril" devient "péri".
- "quidam" et "quoniam" riment avec "avant".
- à noter : "année" se constitue de "han" et "né" et "e", et "presque" se prononce : "prêque". - Les grammaires du XVIe siècle, toutes dans des parlers différents, et toutes aspirant en réalité à représenter le sociolecte de la cour, tout en conservant les spécificités du gascon, du lyonnais, du normand, etc. Et écrites dans des orthographes"réformées", c'est-à-dire pour une bonne part, phonétique... d'où les trouvailles.
Pour aller plus loin
Le site d'Olivier Bettens, éminent chercheur en archéologie des prononciations : Virga.org/chantez-vous français ?
Attention... !
Il s'agit dans cette chronique de prononciation pré-baroque : il y a tout un champ encore à découvrir en amont de ce que les interprètes de musique baroque ont maintenant solidifié (de façon malheureusement pas toujours très heureuse, notamment les consommes finales de vers, [parfois] toutes sur-articulées comme au théâtre sous l'Ancien Régime...).
Dire, déclamer et chanter ce n'est pas le même registre !
- Christophe DilysProduction