Karine Deshayes, Lucy Crowe, Stéphane Braunschweig dans un programme Liszt, Strauss et Mendelssohn en direct du Théâtre des Champs-Elysées à Paris

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Karine Deshayes et Lucy Crowe ; le Choeur de Femmes avec Sofi Jeannin et la Maîtrise de Radio France sont dirigés, ainsi que l'ONF par Daniele Gatti dans une mise en scène de Stéphane Braunschweig. Concert diffusé en direct depuis le Théâtre des Champs-Elysées à Paris et en simultané avec l'Union Européenne de Radio Télévision (UER).

www.arte.tv

**Programme du concert **

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**♫ ** **Franz Liszt, ** Hamlet

Une interprétation singulière du personnage d’Hamlet à Weimar en janvier 1856, par l’acteur Bogumil Dawison, avait beaucoup frappé Liszt qui écrivit à Agnes Street-Klindworth : « Il ne le prend pas comme un songe - creux succombant sous le poids de sa mission […] mais bien comme un prince intelligent, entreprenant, à hautes visées politiques, qui attend le moment propice pour accomplir sa vengeance et toucher à la fois au but de son ambition en se faisant couronner à la place de son oncle […] C’est Ophélie qui est écrasée sous sa mission par son impuissance d’aimer Hamlet comme il lui faut être aimé ». L’idée de composer une ouverture pour le drame ne se concrétisa qu’en 1858.Ce qe Liszt dit de l’oeuvre à sa correspondante au lendemain de la répétition d’orchestre témoigne d’un retour à une vision plus traditionnelle du héros : « Je n’en suis pas mécontent. Il restera tel quel, blême, enfiévré, suspendu entre le ciel et la terre, captif de son doute et de son irrésolution ! » Aucune place n’était réservée à la figure d’Ophélie : les deux épisodes confiés
aux seuls bois et à un violon solo, reliés (ou séparés) par une cascade de ricanements (« Ironisch ») et de coups de griffes instrumentaux, seront ajoutés par la suite : ils doivent « sonner comme un tableau d’ombre ».

Le plan assez libre de la composition n’est pas pour autant celui de la pièce. Du moins peut-on associer les irrésolutions réitérées du début à la question « To be or not to be » et la marche funèbre conclusive au dénouement du drame. Entre les deux, hors les allusions à Ophélie, le retour obsédant d’une note isolée (un si, le plus souvent, au cor) semble la voix du spectre. Pour le reste, Liszt laisse l’auditeur libre d’entendre l’écho d’une tempête ou de la colère, l’éclat pompeux des noces ou les fanfares d’une bataille, les luttes intérieures du héros et/ou le duel final. Serge Gut souligne l’extrême concision de l’oeuvre « écrite avec une grande économie de moyens, mais avec un matériau musical d’un très grande qualité. Elle brosse un remarquable portrait psychologique qui en fait peut-être le meilleur poème symphonique de Liszt ».

**♫ ** **Richard Strauss, **

*Macbeth op 23

Dans le Livre d’or d’un jeune chef d’orchestre (1925), Richard Strauss recommandait de diriger Salomé et Elektra comme s’ils étaient de Mendelssohn : de la musique de fées. Cela devrait valoir aussi pour son premier poème symphonique, Macbeth, non seulement à cause de certains passages d’une finesse aérienne contrastant avec l’épaisseur sombre qui règne sur l’ensemble, mais surtout parce que l’équilibre entre ombre et lumière est le fondement même de la composition. D’une composition qui, loin de suivre pas à pas les péripéties du drame de Shakespeare, offre à l’auditeur une synthèse de ses enjeux ordonnée selon la logique de la forme sonate. Du moins de cette forme telle que Beethoven et, plus encore ses exégètes, l’avaient dramatisée en y introduisant les notions de thème masculin (le premier, soutenu par la masse des cordes) qui affirme la tonalité, et de thème féminin (le second, aux bois individuels) dans le ton de la dominante, sommé de rejoindre le ton fondamental lors de la réexposition à l’issue d’un combat (le développement) dont le plus fort est sorti vainqueur…

En choisissant les figures du glorieux Macbeth (dont les fanfares initiales, sur l’accord parfait, suggèrent la stature) et de son épouse maléfique, séduisante et rouée (mélopée chromatique, serpentant autour du ton de la dominante), Strauss tenait les deux pôles de sa forme sonate. Il les a, naturellement, entourés d’éléments secondaires bien caractérisés où l’on peut entendre, à volonté, les ambitions de Macbeth ou les prédictions des sorcières et, plus clairement, le cri des corbeaux annonçant l’arrivée du roi Duncan, la réception aimable qui lui est faite et le paroxysme du meurtre.

Au delà, l’auditeur doit se satisfaire de suivre un déroulement purement musical, comme dans les ouvertures de Mendelssohn ou de Schumann. Dans sa première version, Strauss s’était inspiré de la victoire de Macduff pour conclure triomphalement dans le mode majeur. Bülow l’ayant convaincu de conserver à l’ensemble de l’oeuvre sa couleur initiale ( mineur), il y renonça. Seule référence, sur la partition, à la pièce qui l’inspira, l’invocation de Lady Macbeth attendant le retour de son époux : « Hâte-toi de venir, que je puisse verser mon courage dans tes oreilles, et chasser, par la vaillance de ma langue, tout ce qui te sépare du cercle d’or, dont le destin et un appui surnaturel veulent te voir couronné ». Elle est inscrite sous la première polyphonie avenante des bois dont le contraste inattendu se signale à l’attention.

**♫ ** **Felix Mendelssohn, **

*Le Songe d’une nuit d’été op 61

Il est tentant d’associer la composition de l’Ouverture du Songe d’une nuit d’été à la création toute récente d’Oberon de Carl Maria von Weber dont la mort prématurée, le 5 juin 1826, dut navrer le jeune Felix. Comme il avait pu prendre connaissance de la partition en cours d’édition, la quasi-citation du Mermaid’s song qui clôt l’ouverture a l’accent d’un adieu. Plus généralement, la légèreté inouïe de l’écriture de Mendelssohn (qui illuminait déjà son Rondo capriccioso et le scherzo de son Octuor ) témoigne d’une connivence avec son aîné. Mais c’est aussi par l’abondance des idées que cette ouverture se rapproche de celles de Weber, et surtout par la façon dont ces motifs sont liés entre eux de façon à concilier le jaillissement d’un apparent pot-pourri avec le dynamisme logique de la forme sonate. Après les accords impalpables où filtre la magie du mode majeur, les violons divisés (les elfes ?) babillent en mineur comme s’ils voulaient se cacher. Un premier thème, qui surgit fortissimo, les bouscule, tandis qu’un autre, à la dominante, impose sa mélancolie. Comble d’ironie, la progression lyrique qui s’ensuit bute sur des motifs dérisoires culminant avec l’imitation du braiement de l’âne. Le développement, la réexposition et la conclusion préserveront la même spontanéité.

L’importante musique de scène, où pages orchestrales (entractes, marches, danses) et épisodes chantés alternent avec les mélodrames (dialogues
parlés entremêlés de musique qui sortent du cadre d’un concert), n’emprunte à l’ouverture que les pitreries de la Danse des clowns et la trame du Finale. Tout est neuf mais, à dix-sept ans de distance, Mendelssohn a conservé verve et fraîcheur de l’adolescence. Le Scherzo où, fidèle à lui-même, il use des teintes pastels du mode mineur, semble tracé avec la pointe d’une aiguille : bois et cordes y jouent à cache-cache et la forme elle-même tient plutôt du rondo, voire du rondo-sonate. Le frémissant mi mineur de la Marche des elfes offre un paradoxe de mouvement et de suspension : les génies se déplacent mais sans toucher le sol et l’éclat même de leur fanfare confine au silence.

L’air avec choeur qui s’adresse aux « serpents tachetés » en reprend l’image ondulante. La souplesse ondoyante de ce mouvement perpétuel rappelle celle de la Romance sans parole connue sous le titre «La Frileuse» : les voix semblent y picorer leurs syllabes. Le ton de l’Intermezzo est plus dramatique : partie à la recherche de Lysandre, Hemia finit par se perdre dans la forêt. Obsessionnelle, tournant et retournant sur elle-même, la musique distille une angoisse sourde, mais les couleurs ne sont jamais ternes grâce à l’emploi des registres instrumentaux les plus favorables. La survenance de la troupe des comédiens amateurs clôt cette page de la manière la plus imprévue.

Est-ce le cor magique d’Oberon qui chante l’ineffable mélodie du Nocturne si bien conçue pour l’instrument sans pistons où chaque note, ouverte ou bouchée, a sa couleur propre ? Les autres timbres (des violons, du hautbois, des clarinettes, des flûtes) viendront tour à tour caresser le sommeil des amants et vivifier la forme qui, sous l’apparence d’incessantes réitérations, progresse jusqu’au sommet dramatique au centre du développement modulant avant de se dénouer dans une reprise variée. Il n’est pas interdit d’y entendre la plus onirique des scènes d’amour.

La Marche nuptiale est si connue (encore qu’on l’entende souvent dans un tempo trop large) que tout commentaire serait superflu. Sa popularité tient à un artifice souvent imité depuis lors : fuir le ton principal pour mieux y arriver. C’est l’exclamation initiale en mi mineur qui porte l’*ut * majeur à incandescence. Parodique, la Marche funèbre, confiée aux timbales, au basson et à la rude clarinette en ut dans des registres peu flatteurs, se distingue par les qualités inverses. La Danse des clowns est une reprise variée d’un passage de l’ouverture, tout comme le Finale où les voix se superposent, comme par magie, au bruissement du vol des elfes développé en conséquence.

Gérard Condé

Interprètes :
Lucy Crowe , Soprano
Karine Deshayes , Mezzo-soprano
Stéphane Braunschweig ,Récitant, Metteur en scène
Maîtrise de Radio France
Choeur de Femmes de Radio France
Sofi Jeannin : Chef de choeur
Orchestre National de France
Daniele Gatti ,direction

Complément de programme

Henri Dutilleux
Chansons de bord
Quatre chansons à virer
Le grand coureur

Maîtrise de Radio France
Sofi Jeanin, direction
CD "Carnet de bord" RADFR FRF036

Anton Bruckner
Os Justi
Choeur de Radio France
Norbert Balatsch, direction
(enregistré le 30 mai 2000, Salle Pleyel)
CD "Le choeur de Radio France a 60 ans"

Daniel Lesur
Chansons populaires à trois voix
Maîtrise de Radio France
Sofi Jeanin, direction
CD "Carnet de bord" RADFR FRF036

Sir Edward Elgar
Falstaff, étude symphonique en ut mineur op.68
Hallé / Lyn Fletcher
CD HLL 7505

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