Les larmes de Pierre : épisode • 3/5 du podcast La Passion selon Jean-Sébastien Bach

Johann Sebastian Bach (portrait de Elias Gottlob Haussmann, 1746) et Le tableau : Les larmes de Saint Pierre Diego de Vélasquez (1617-1619)
Johann Sebastian Bach (portrait de Elias Gottlob Haussmann, 1746) et Le tableau : Les larmes de Saint Pierre Diego de Vélasquez (1617-1619)
Johann Sebastian Bach (portrait de Elias Gottlob Haussmann, 1746) et Le tableau : Les larmes de Saint Pierre Diego de Vélasquez (1617-1619)
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Comment Bach traite-t-il cet épisode dans ses Passions ?

L’ultime composition de Roland de Lassus, publiée à titre posthume, est un ensemble de madrigaux spirituels écrits à partir de poèmes de Tansillo. Tous abordent la thématique des Larmes de Pierre. Sur ce thème, il y a aussi un tableau tout à fait saisissant attribué à Velasquez et un magnifique poème de François de Malherbe.

L’épisode des Larmes de Pierre est présent dans les quatre évangiles. Dans celle de Luc figure : « À ce moment même, comme il parlait encore, un coq chanta. Le seigneur se retourna et regarda fixement Pierre. Alors Pierre se souvint de ce que le Seigneur lui avait dit : “Avant que le coq chante aujourd’hui, tu auras affirmé trois fois que tu ne me connais pas”. Pierre sortit et pleura amèrement.

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La scène est plus violente dans la version de Saint Matthieu. Cette fois, c’est toute la foule qui accuse Pierre de suivre Jésus : « Certainement, tu es aussi de ces gens-là car ton langage te trahit. » Puis l’évangéliste précise la véhémence du dernier reniement de Pierre : « Il se mit à jurer et à faire des imprécations. » Et pour une fois, Pierre intervient lui-même dans le récitatif de façon directe : « Je ne connais pas cet homme. » Et l’Évangéliste conclut : « Et aussitôt le coq chanta. Pierre alors songea aux paroles de Jésus, qui lui avait dit : “Avant que le coq ne chante, tu m’auras renié trois fois.” Et étant sorti, il pleura amèrement ».

Dans les versions que nous possédons de Bach, celles de Jean et de Matthieu, ce regard appuyé de Jésus ne figure pas. Dans celle de Jean, on trouve un serviteur qui demande à Pierre : « Ne t’ai-je pas vu avec lui dans le jardin ? » et l’Évangéliste poursuit : « Pierre le nia de nouveau, et aussitôt le coq chanta. Et Pierre se souvint de la parole de Jésus, et, étant sorti, il pleura amèrement. »

Comment Bach traite-t-il cet épisode ? Fait-il une aria autour de ces larmes ? Dans sa Johannes-Passion, ce n’est traité que dans le récitatif mais le verbe « weinen », « pleurer », lui inspire une déchirante vocalise de près d’une minute.

L’aria qui succède à ce récitatif n’est pas centrée sur l’idée des pleurs, mais sur le sentiment de détresse, de honte et l’impossibilité de se consoler. La situation est tout à fait différente dans la Saint-Matthieu, il y a la très célèbre aria Erbarme dich. Et aussi une vocalise dans le récitatif qui la précède.

Mais ce fameux coq qui chante, faut-il le faire entendre ? Voilà un dilemme pour un compositeur. Jusqu’où pousser le réalisme ? Bach choisit une réponse subtile. Sur le verbe de la phrase « Avant que le coq ne chante », « Ehe der Hahn krähen wird », il fait une bien étrange vocalise. Libre ensuite au chanteur de l’adoucir, ce que beaucoup font… ou d’évoquer littéralement un coq, ce qu’à mon avis Ian Bostridge tente.

L’aria Erbarme dich est le véritable cœur expressif de la Passion selon Saint Matthieu. Elle présente des harmonies chaudes et tenues, et une basse régulière en pizzicati, une basse de la nature de celles sur lesquelles on compose des « tubes », par exemple le Canon de Pachelbel, la Mort de Didon, ou, pour changer d’univers, Vienne de Barbara ou, pour prendre un exemple dans le rock, Stairway to Heaven des Led Zeppelin, voire même Le Clan des Siciliens, avec l’inoubliable musique de Morricone...

L'aria de Bach est de cette eau-là… Et elle présente une typologie très précise : il s’agit d’une aria da capo modifiée à ritournelles, pour voix d’alto, avec un violon solo obligé. C’est une formulation bien aride, j’en conviens. Pourtant, derrière chacun de ses termes, il y a une des idées de Bach. Une aria da capo modifiée indique que la fin reprend le début mais en le transformant. Cela donne une très grande souplesse à la forme. Et, de toute façon, dans le cadre de la musique religieuse, il n’est pas d’usage d’improviser des ornements dans un da capo comme on le ferait dans un opéra, donc ce retour au début n’est pas d’une si grande importance. Ritournelle signifie qu’un épisode purement instrumental va revenir plusieurs fois pour articuler l’air et permettre au chanteur de souffler. Ensuite, cet air est écrit pour voix d’alto, c’est un timbre souvent lié chez Bach à l’âme en peine ou au pécheur accablé par le poids de ses fautes. Suivant les cas, il va être chanté par une voix d’alto féminine ou par une voix de haute-contre. Enfin, il nous reste le violon solo obligé. Et là, Bach nous enivre littéralement avec une incroyable guirlande de notes jouée au violon. Paradoxe ultime, pour évoquer les larmes qui promettent le salut, Bach mêle de façon géniale tristesse et ivresse sonore…

Roland de Lassus
Lagrime di San Pietro : XVI. O vita troppo rea
Collegium Vocal Européen, dir. Philippe Herreweghe
Harmonia Mundi

Jean-Sébastien Bach
La Passion selon Saint Jean BWV 245, Première Partie : Und Hannas sandte ihn gebunden
Werner Güra, ténor
Akademie für Alte Musik Berlin / Chœur de chambre du RIAS de Berlin, dir. René Jacobs
Harmonia Mundi

Jean-Sébastien Bach
La Passion selon Saint Matthieu, Deuxième Partie : Petrus aber sass draussen im Palast
Ian Bostridge, ténor
Collegium Vocale de Gand, dir. Philippe Herreweghe
Harmonia Mundi

Jean-Sébastien Bach
La Passion selon Saint Matthieu, Deuxième Partie : Erbarme dich
Andreas Scholl, contre-ténor
Collegium Vocale, dir. Philippe Herreweghe
Harmonia Mundi

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