Les lamentations mélodisées des femmes kurdes

Les lamentations des femmes kurdes font partie de leur culture et de leur quotidien ©Getty - Neil Thomas
Les lamentations des femmes kurdes font partie de leur culture et de leur quotidien ©Getty - Neil Thomas
Les lamentations des femmes kurdes font partie de leur culture et de leur quotidien ©Getty - Neil Thomas
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Depuis le 9 octobre, la Turquie bombarde le nord-est de la Syrie, zone où les Kurdes avaient réussi à repousser la présence de l'Etat islamique. Un affront de plus envers une population réprimée qui pleure son exil et ses morts à travers notamment les lamentations chantées par les femmes kurdes.

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Fatme, une kurde originaire de la région de Van en Turquie et exilée à Istanbul, chante et pleure la mort de son fils tué par l’armée en 2003 : les hommes ont attaché son corps derrière une voiture, le jeune a été traîné, jusqu’à sa mort. Quand elle chante, Fatme raconte cette histoire de manière très personnelle, on appelle ce chant une lamentation.

Il y a une quinzaine d’années, l'ethnomusicologue, Estelle Amy de la Bretèque, s'est rendue dans les bidonvilles d'Istanbul et de Diyarbakir pour enregistrer les lamentations des femmes kurdes. C'était en 2003, donc juste après la mort du fils de Fatme. La lamentation diffusée en début de chronique a dont été écrite juste après le drame. 

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Lamentations improvisées

Chez les Kurdes, ces lamentations sont pour la plupart totalement improvisées, en tout cas au niveau des paroles. Les femmes expriment leurs émotions et souvent leur détresse à travers ces chants qui ne respectent pas de codification précise mais sont interprétés dans certaines situations ou circonstances : le deuil, la séparation ou encore l’exil.

Fincan est originaire de la région de Tunceli Dersim en Turquie, dans sa lamentation à elle, elle parle des villages détruits par l’armée et de l’exil en terre étrangère. Ces femmes kurdes qu’Estelle Amy de la Bretèque a rencontrées vivent en effet dans des bidonvilles turcs. La population kurde a été contrainte dans les années 90 de quitter leurs villages pour des mesures de sécurité. En réalité, le gouvernement avait peur du développement de groupes indépendantistes kurdes dans ces régions rurales et a donc décidé l'exode de ces populations vers les grandes villes.

Au-delà d’un exil, ces années ont été marquées par de nombreuses exécutions, des villages entièrement brûlés, des arrestations… Période sombre qui ressort dans de nombreuses lamentations car le souvenir chez les kurdes est encore vif. Ces lamentations ont aussi un autre rôle : permettre de conserver une mémoire collective de l’histoire kurde. 

L'histoire des Kurdes en musique

Les femmes, en parlant de leurs expériences personnelles, racontent au final de l’histoire des Kurdes, une histoire tragique. Pour rappel, cette communauté est estimée à 30 ou 40 millions de personnes, réparties entre quatre pays : la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Les Kurdes ne possèdent ni pays, ni gouvernement propre. Certains pays leur accordent des droits et une certaine autonomie, mais ils restent l’une des populations apatrides les plus importantes au monde.

Les femmes, à travers les lamentations, participent à la conservation et la transmission d’une culture, d’une histoire, et il n’est pas rare d’entendre des kurdes chanter ces lamentations pour endormir les enfants… Les berceuses kurdes sont chantées sur le même modèle : des paroles improvisées sur une mélodie qui s’adapte à ce que la femme veut raconter à son enfant, aux générations futures. 

Il existe donc des lamentations pour le deuil, chantées pendant les funérailles, d’ailleurs il est fréquent que les femmes pleurent en chantant, ce qui est très émouvant mais contrairement à d’autres cultures, chez les kurdes, pleurer, exprimer sa tristesse fait partie du quotidien, de la tradition. Ce n'est pas impudique et même les hommes pleurent et ne s'en cachent pas. 

Les lamentations épiques

Il y a des lamentations autour de l’exil, des lamentations pour bercer un enfant… Mais il existe aussi des lamentations épiques comme celle enregistrée par la guérillerotte kurde Viyan Peyman, morte au combat en 2015. 

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Estelle Amy de la Bretèque a traduit les paroles de la guérillerotte (cliquer sur l'icone CC dans le player de la vidéo pour les activer). Elle chante : « Je vais transformer l’épopée de Kobané en chant pour que le monde entier entende. Viens voir par toi-même les rues de Kobané, les traces de la guerre tragiques. Seuls restent le bruit des bombes et l’odeur de la guerre »

Pour rappel, la bataille de Kobané a lieu entre septembre 2014 et janvier 2015 en Syrie et oppose les forces djihadistes de l’Etat islamique contre les troupes kurdes et des groupes alliés. Après des mois de combat, la ville est récupérée par les forces kurdes, ce que rappelle aussi ce chant qui vante le courage des kurdes, leur ténacité 

Depuis le 9 octobre, les troupes kurdes sur le terrain sont bombardées, repoussées et menacées par l’opération militaire lancée par la Turquie dans le nord de la Syrie, une offensive dénoncée par Amnesty international comme crimes de guerre et qui provoque un nouvel exode pour des dizaines de milliers de Kurdes. Jeudi 17 octobre, la Turquie a lancé une trêve pour permettre aux forces kurdes de se retirer du terrain, mais des tirs ont été entendus dans les zones concernées pas plus tard qu'hier.

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