Richard Peduzzi publie « Là-bas, c’est dehors » aux éditions Actes Sud

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Habituellement, à ce micro, Guillaume Goubert nous parle d’architecture et évoque des constructions bien réelles, où l’on peut habiter ou travailler. Ce matin, il évoque un homme qui crée des architectures sublimes mais qui sont oniriques et éphémères, le décorateur de théâtre Richard Peduzzi. Il vient de publier chez Actes Sud un très beau livre de souvenirs.

Je dois vous avouer qu’il m’est arrivé autrefois d’aller au théâtre sans me poser beaucoup la question de savoir quelle était la pièce, le metteur en scène ou les acteurs. Ce que je voulais avant tout, c’était voir les décors conçus par Richard Peduzzi. J’en avais aperçu des photos dans la presse. Et ils me fascinaient par la manière dont ils architecturaient la scène. Et c’est ainsi que j’ai vu La Dispute de Marivaux, mise en scène par Patrice Chéreau. Soirée inoubliable.

Je ne crois pas que Patrice Chéreau, décédé il y a un an, aurait été chagriné d’apprendre qu’un spectateur s’intéressait aux décors avant le reste. Entre lui et Peduzzi, il s’était développé une extraordinaire complicité qui a duré près d’un demi-siècle, les idées de l’un nourrissant l’autre, inlassablement, sans que l’on puisse démêler tout à fait leurs contributions respectives.

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Né en 1943, Richard Peduzzi a passé une partie de son enfance dans les ruines du Havre dévasté par les bombardements de la seconde guerre mondiale. Il a grandi presque comme un enfant sauvage, sans vraiment faire d’études. Mais il a appris le dessin qui est demeuré sa grande passion. Pour gagner un peu d’argent, il a accepté un jour de participer à la réalisation d’un décor de théâtre. C’était en 1967 à Sartrouville, dans la banlieue parisienne. C’est là qu’il a fait la connaissance de Patrice Chéreau. Ils n’ont ensuite jamais cessé de travailler ensemble.
Peduzzi est un passionné de jazz et il raconte dans son livre le rôle qu’a joué le jazz dans son travail pour le fameux Ring du centenaire à Bayreuth avec Chéreau et Pierre Boulez. Je cite : « Lorsque j’ai entrepris les décors du Ring, particulièrement ceux du Crépuscule des Dieux où je souhaitais m’enfoncer dans les méandres de l’architecture industrielle américaine du XIXe siècle, c’est dans le jazz que j’ai puisé les paysages que je cherchais. »

Le charme du livre de Peduzzi, c’est cette manière de raconter comment chaque pièce est pour lui, je cite* « comme la naissance d’un monde »*. Et comment, je cite encore, « la cage de scène devient le lieu d’un possible évasion ».

C’est au coeur de cet espace entouré de murs, de grillages et de rideaux que je dois à chaque fois comme si c’était la première fois (…) comprendre réinventer, trouver un lieu, un nouveau pays, imaginer des échappées.

Mais Richard Peduzzi n’a pas travaillé que pour le théâtre. Il a réalisé de nombreuses scénographies d’expositions, créé des meubles. Philippine de Rothschild a fait appel à lui pour concevoir le bâtiment abritant les cuves de Château Mouton Rothschild. Il a dirigé pendant 12 ans l’Ecole nationale des arts décoratifs à Paris puis la Villa Médicis à Rome de 2002 à 2008 où il a fait un magnifique travail de rénovation. Personne n’avait osé vraiment s’y attaquer depuis le départ du peintre Balthus en 1977.

Mais Peduzzi avait découvert la ville bien des années auparavant. Et je voudrais conclure en citant une anecdote magnifique qui se passe en 1969. Chéreau mettait en scène à Spolète son premier opéra, *L’Italienne à Alger * de Rossini. Peduzzi et Jacques Schmidt, le costumier, allaient à Rome pour chercher le matériel dont ils avaient besoin. Et, notamment chez un couturier dénommé Tirelli qui travaillait pour de très grands costumiers comme Lila De Nobili ou Piero Tosi.

« Ce jour-là, , raconte Peduzzi, il y avait à chaque étage des attroupements. Tous les gens qui travaillaient dans les ateliers s’étaient regroupés dans les escaliers, la tête et le regard dirigés vers le dernier étage d’où arrivait une voix extraordinaire. Personne ne parlait, tous étaient émus, concentrés. Nous avons réussi à nous frayer un passage jusqu’au troisième étage et à nous faufiler dans la pièce d’où arrivait cette voix. Tirelli, entouré d’assistants, appliquait les dernières épingles sur une robe de soie de toutes les couleurs. Piero Tosi, modeste, effacé comme toujours, Luchino Visconti, suprêmement élégant, regardaient la Callas à moitié dénudée, debout sur la table, qui faisait des vocalises en attendant patiemment qu’on ait fini de retoucher son costume. »

♫ EXTRAITS

Bud Powell - Cleopatra’s dream
Bud Powell, piano
BLUE NOTE CJ28-5032

Giacomo Puccini - Tosca
Acte II "vissi d’arte"
Maria Callas, soprano
Orchestre du conservatoire
Georges Prêtre, direction
EMI 7631822

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