La rivalité entre les peintres Turner et Constable

Publicité

Ça vous dit une petite balade de l’autre côté du Chanel ? Deux musées londoniens rallument en ce moment une des grandes querelles de la peinture britannique : la rivalité entre Turner et Constable.

Par Sabine Gignoux du Journal La Croix

Chacun a son champion. A ma gauche, vous avez la** Tate Britain** qui présente les œuvres de la maturité de Turner. A ma droite, le Victoria and Albert museum qui consacre une grande exposition à Constable dont il possède tout le fonds d’atelier. Et comme les Anglais adorent les paris, Le Guardian, le grand quotidien britannique, en a aussitôt profité pour soumettre cette grave question à ses lecteurs : qui, de Turner ou de Constable, est le plus grand peintre anglais ? Le match avait déjà commencé du vivant des deux peintres, il y a deux siècles…
On le voit d’ailleurs dans le film de Mike Leigh consacré à Turner qui sortira en décembre sur les écrans français. Il y a notamment cette anecdote fameuse en 1832, lors de la grande exposition annuelle de la Royal Academy, l’équivalent du Salon à Paris où Turner présente une marine dans des tons assez pâles. Quand il découvre qu’il est accroché juste à côté de son rival. Or Constable a peint un immense tableau nationaliste, plein d’or et de vermillon : L’Inauguration du pont de Waterloo. La riposte ne va pas tarder. Pendant les jours de vernissage, ainsi nommés parce que les artistes avaient justement le droit de retoucher et de vernir, une dernière fois leurs tableaux avant l’ouverture au public, Turner revient, armé d’un pinceau. Et il ajoute au milieu de sa marine, une petite bouée, rouge comme un bâton de dynamite, pour attirer tous les regards. Constable, tout déconfit, dira :

Publicité

Turner est venu ici et il a tiré un coup de canon !

The Opening of Waterloo Bridge -John Constable (1832)
The Opening of Waterloo Bridge -John Constable (1832)

Ce qui est intéressant dans les expositions de Londres consacrées l’une à Turner et l’autre à Constable, c’est de voir autour d’un même goût pour le paysage, deux conceptions de la peinture qui s’affrontent. Au départ, il y a déjà deux personnalités très différentes, un peu comme le feu et l’eau. Le feu bien sûr, c’est Turner, l’aîné d’un an. Lui vient d’un milieu très populaire. Il est le fils d’un barbier londonien. Il a soif de découvrir le monde. Il voyagera dans toute l’Europe jusqu’à l’âge de 70 ans. Constable, à l’inverse, n’a jamais quitté sa chère Angleterre. C’est un gentleman farmer, un homme marié, père de sept enfants, héritier d’un riche meunier du Suffolk. Il fréquente l’église anglicane, affiche des idées très conservatrices. Bref, autant Turner fait figure d’aventurier, parfois rebelle. Autant Constable est un fidèle, un peintre profondément attaché à son terroir. Leur point commun, c’est d’avoir tous deux pratiqué** la peinture en plein air** …On sait, par exemple, que Turner a réalisé des esquisses peintes depuis un bateau, un atelier flottant sur la Tamise. Monet lui piquera d’ailleurs plus tard cette idée. Mais en réalité, Turner, durant ses voyages, a surtout dessiné sur des grands carnets souples qu’il roulait dans ses poches. Il notait R pour rouge, B pour bleu et colorait ses croquis, ensuite à l’atelier. Du coup, chez Turner, l’imagination prend le pouvoir. Elle gomme certains détails et amplifie les effets atmosphériques. On le voit à la Tate Britain, dans la série de peintures sur Venise. Plus les tableaux sont peints longtemps après le voyage en Italie, plus les palais et les églises s’effacent, au profit de purs miroitements de lumière... Parfois, l’artiste va même trop loin pour ses contemporains. Devant ses tableaux, carrés où la composition semble emportée dans l’œil d’un cyclone, même son ami John Ruskin, se demandera si Turner n’est pas atteint de démence sénile…

Constable est beaucoup plus réaliste …avec une vénération quasi-religieuse pour la nature. Il multiplie les esquisses à l’huile en plein air pour étudier chaque espèce de plante ou d’arbre, la forme des nuages, l’arrivée de la pluie, quand le vent fait frissonner dans les feuillages… Et toutes ces notes prises sur le motif lui servent ensuite d’aide-mémoire pour ses grandes compositions peintes dans l’atelier. Il y a quelque chose de laborieux, de méthodique chez lui. Là où Turner est beaucoup plus inventif. Mais Constable donne un sentiment de la nature tellement juste, que le peintre Lucian Freud avouait devant ses Charrettes de foin : « j’aime leur odeur ! ».

**♫ EXTRAITS **

Joseph Haydn - Symphonie n° 96 en ré majeur « The miracle »
Finale vivace assai
DGG 474367-2

Joseph Haydn - Symphonie n° 101 en ré majeur « L’horloge »
Finale-vivace
LSO/ Eugen Jochum
DGG 474368-2

L'équipe

pixel