La collection Jacqueline Delubac à Lyon

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Ce matin, Sabine Gignoux nous emmène au musée des Beaux-Arts de Lyon.

Il y a une quinzaine d’années, alors que ce musée était en pleine rénovation, il a reçu un legs providentiel. Une collection de 35 œuvres d’art impressionniste et moderne, signées Manet, Degas, Picasso ou Braque. Un ensemble estimé à l’époque à 300 millions d’euros, soit 600 fois le budget annuel d’acquisition du musée ! La bonne fée s’appelait Jacqueline Delubac. Elle venait de mourir, renversée par une bicyclette devant une vitrine d’Hermès. Elle avait été actrice, l’épouse de Sacha Guitry, puis d’un riche diamantaire. Et le musée de Lyon lui rend aujourd’hui hommage dans une exposition passionnante où l’on découvre non seulement la forte personnalité de cette femme mais aussi la façon dont elle vivait avec ses œuvres d’art, d’une manière audacieuse et presque provocante. Un exemple : cette actrice ravissante, classée par le magazine américain Vogue comme l’une des dix femmes les plus élégantes du monde, vous accueillait dès l’entrée de son appartement par un grand tableau de Francis Bacon montrant une carcasse de viande et un oiseau de proie.

Anonyme, Jacqueline Delubac au dessous de la Femme assise sur la plage de Pablo Picasso. Collection particulière - © Succession Delubac © Succession Picasso 2014 © Droits réservés
Anonyme, Jacqueline Delubac au dessous de la Femme assise sur la plage de Pablo Picasso. Collection particulière - © Succession Delubac © Succession Picasso 2014 © Droits réservés

On découvre dans l’exposition le parcours étonnant de cette fille d’un négociant en soie, orpheline de père à 4 ans. Elle quitte alors Lyon pour aller vivre avec sa mère chez les beaux-parents, à Valence. Et assez vite, les deux femmes vont rêver d’évasion. Sa mère, diplômée du conservatoire de Paris en piano et violon, lui fait donner des cours de musique et de danse. Jacqueline se sent une vocation pour la scène. A 19 ans, elle monte à Paris avec sa mère où elle croise un directeur de revue, Rip, qui lui déclare : « quel drôle de petit visage vous avez, avec ce nez en l’air, vous devez faire du théâtre ! ». Et elle commence en imitatrice de Joséphine Baker, avec une ceinture de bananes autour des hanches. Elle enchaine les petits rôles. Jusqu’au jour où Sacha Guitry tombe sous le charme de cette brune piquante aux yeux clairs, qui s’habille avec chic. A une époque où Yvonne Printemps s’apprête à quitter l’homme de théâtre pour l’acteur Pierre Fresnay, Guitry embauche alors la jeune Jacqueline, pour jouer avec lui dans Villa à vendre. Leur duo marche si bien qu’il l’épouse en 1935 avec un bon mot : « elle avait 25 ans, j’en avais 50, il était normal que j’en fasse ma moitié » ! C’est à ce moment que Jacqueline prend pour nom de scène le nom de sa mère : Delubac. Et Guitry lance sa carrière de vedette. Il l’habille chez Paquin. Il l’a fait jouer dans 23 de ses pièces. Et elle, le convainc en retour de faire du cinéma : onze films ensemble, comme Quadrille dont le musée de Lyon montre un extrait parmi un florilège d’affiches et de photos souvenirs. C’est Sacha Guitry qui donne à Jacqueline Delubac le goût de collectionner l’art…
Lui-même avait hérité ce goût de son père, l’acteur Lucien Guitry. Son hôtel particulier, avenue Elysée Reclus, était rempli de tableaux de Monet, de Cézanne, de sculptures de Rodin... Quand Jacqueline le quitte au bout de 4 ans, elle vend les bijoux qu’il lui a offert pour s’acheter de l’art. Elle reprochait à Guitry d’être « resté très 1900 dans ses goûts ». Elle marque sa différence en choisissant des œuvres très modernes, parfois directement dans l’atelier de jeunes comme Hartung, Poliakoff ou César qui devient son ami.

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Georges Braque (1882-1963), Femme au chevalet, 1936. Huile sur toile, 92,5 x 92,5 cm. Legs Jacqueline Delubac, 1997. Lyon, musée des Beaux-Arts © ADAGP, Paris 2014 - Image © Lyon MBA - Photo Alain Basset
Georges Braque (1882-1963), Femme au chevalet, 1936. Huile sur toile, 92,5 x 92,5 cm. Legs Jacqueline Delubac, 1997. Lyon, musée des Beaux-Arts © ADAGP, Paris 2014 - Image © Lyon MBA - Photo Alain Basset

Le musée de Lyon a eu la bonne idée de reconstituer l’accrochage de son appartement du Quai d’Orsay à Paris. Où l’on voit qu’elle n’hésite pas à faire cohabiter un Dubuffet abstrait avec des chenets du XVIIIe, posés sur une moquette Léopard. A la mort de son second mari, le diamantaire Myran Eknayan, qui avait une riche collection d’impressionnistes, elle la présentera dans un salon rouge, à part. Toujours pour marquer l’originalité de ses choix, à elle. Des œuvres dérangeantes, comme cette grande Femme sur la plage de Picasso aux déformations surréalistes, ou encore cette *Femme au couteau * de Wilfredo Lam. Dans un autre tableau de Braque, c’est encore une Femme au chevalet qui tient le pinceau. Et dans sa salle à manger, tendue d’un tissu émeraude, Jacqueline Delubac accroche sous le nez de ses convives une Corrida de Francis Bacon où le taureau sanglant tourne dans une arène.

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