Opéra Bastille : 9 (petites) choses à savoir sur la plus grande scène d'Europe

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Opéra Bastille : 9 (petites) choses à savoir sur la plus grande scène d'Europe

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Ouverture de l'Opéra Bastille le 17 mars 1990 à Paris, France.
Ouverture de l'Opéra Bastille le 17 mars 1990 à Paris, France.
© Getty - VAN DER STOCKT

L'un des "Grands travaux" de François Mitterrand, l'Opéra Bastille, figure parmi les plus grandes et impressionnantes salles d'opéra au monde. Voici 9 (petites) choses à savoir sur la genèse de sa construction, jusqu'à aujourd'hui.

Dans les années 1960, de nombreuses figures de la musique en France s'interrogent : faut-il fermer l'Opéra Garnier ? Réformer l'Opéra de Paris ? Construire une nouvelle salle ? Jean Vilar, Maurice Béjart ou encore Pierre Boulez s'expriment sur l'avenir de cette institution jugée obsolète, dans un lieu trop étroit et coûteux.

L'opéra Garnier est jugé « inutilisable », et l’idée d’une nouvelle salle d’opéra prend progressivement forme. Elle se concrétise en 1981 avec le président François Mitterrand et ses « Grands Travaux ». La France, et Paris plus précisément, a besoin d’un opéra plus moderne, plus populaire, capable de redonner de la force au monde lyrique français. Un concours international est organisé, le plus grand au monde, avec 750 projets proposés. À la surprise générale, c’est un architecte inconnu qui se voit confié le lourd projet. Mais était-ce vraiment l'uruguayo-canadien Carlos Ott que le jury avait choisi ? Ou avaient-ils cru deviner le projet d’un autre architecte, plus réputé, nommé Richard Meier ? Bien que les rumeurs circulent, le Président affirme que « parmi les six derniers [projets], moi j'ai choisi celui-là car il me paraissait le plus convenable ».

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Un opéra envers et contre tous ? 

« La réalisation de cet opéra a été très difficile, j’en ai vu de toutes les couleurs. Travailler avec les Français, c’est épouvantable ! ». Avec humour, l’architecte Carlos Ott trahit les difficultés rencontrées pendant 8 ans. Ce projet d'opéra, voulu « moderne » et « populaire » pour diversifier le répertoire, n’est pas soutenu par tout le monde comme l’explique Michael Dittmann, membre de l’Etablissement Public Opéra Bastille (EPOB) : « Il a fallu trois mois pour concevoir cet opéra et sept années de bataille pour réussir à le faire adopter et à le réaliser. » 

Dès ses premiers jours, le projet est critiqué pour des raisons tant budgétaires qu'idéologiques. La promesse de 300 représentations par an laisse dubitatif. Et où donc installer cet opéra populaire ? Alors que sont envisagés le Quai de Javel, la Défense, Marne-la-Vallée, et surtout le Parc de la Villette, l'idée la place de la Bastille n'est pas du tout prise au sérieux. « Cet opéra ne devait pas du tout être à Bastille, il devait être à la Villette sur un complexe très complet […] Le modèle, c’était le Lincoln Center de New York. [Mais] des conseillers ont convaincu François Mitterrand que cela serait bien de faire l’opéra sur un lieu symbolique, un lieu populaire », explique Christian Merlin, musicologue, critique musical, et producteur de radio.

Un édifice à 2€ le kilo

Victime de nombreux arbitrages politiques et de réévaluations budgétaires, les travaux sont arrêtés en 1986 pendant 2 semaines (coûtant 750 000 francs par jour) sous l’ordre du Premier ministre Jacques Chirac et François Léotard, ministre de la Culture. Nouvelle proposition : remplacer l’Opéra Bastille par un grand théâtre avec auditorium, et revendre les espaces initialement prévus pour les ateliers de décors et la salle modulable. Il faut attendre mai 1987 et plusieurs études financières pour que le projet Bastille soit finalement accepté : les ateliers de décors sont validés et l'Opéra Bastille sera livré en 1989 mais sans la salle modulable.

Malgré les frayeurs de dernière minute (un podium de la fosse d’orchestre s’écroule un mois avant les célébrations du bicentenaire de la Révolution française), l'inauguration se déroule parfaitement sous les yeux de 33 chefs d’Etats du monde entier, affirmant la place de l’Opéra Bastille comme une institution majeure dans le monde lyrique. Face aux critiques budgétaires, une étude financière anecdotique confirme que la salle d’opéra et ses 2 745 places pour 427 millions d’euros reviendrait au prix très raisonnable de 2€ le kilo !

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La valse des directeurs

Trouver un directeur musical pour la nouvelle salle d’opéra française, mission impossible ? Nommé en 1984, Jean-Pierre Brossmann démissionne moins d'un an plus tard. Plusieurs candidats potentiels sont contactés, comme Ernest Fleischmann, Brian Dickie, Hugues Gall, et Gérard Mortier, directeur du Théâtre royal de la Monnaie : ce dernier est finalement nommé directeur en septembre 1985 mais se retire du projet à peine six mois plus tard. 

Un an plus tard, Daniel Barenboim est nommé directeur musical et artistique de Bastille. Hélas, la renommée de ce dernier fait de lui un directeur très cher et peu disponible. Il est finalement licencié en janvier 1989 après l’arrivée de Pierre Bergé en tant que président du conseil d’administration de l’Opéra de Paris.

L’arrivée de Myung-Whun Chung annonce une période stable et glorieuse pour l'Opéra, mais malgré les nombreux succès de ce dernier, Chung est renvoyé en 1995, après la nomination de Hugues Gall. Ironie, ce dernier déclarait que l'Opéra Bastille était « une mauvaise réponse à une question qui ne se posait pas ». Il finira néanmoins par avouer : « Je vais essayer de me donner tort pour pouvoir dire à la fin de mon mandat : "Oui, il fallait construire Bastille" ». 

La plus grande salle d’Europe, et une scène sous la Seine

Bastille a la plus grande salle d’opéra d’Europe, mais celle-ci ne représente que 5% de l'édifice. Autour de la scène principale de 750 m² se trouvent des scènes latérales et arrière-scènes de dimensions similaires, pour un espace total de 5000 m². Bastille possède aussi deux espaces « scénique » dont un identique à la scène principale de 5000 m² qui se trouve 25 mètres plus bas, dans « l’enfer », plus profond que le métro parisien et 8 mètres sous le niveau de la Seine. 

Tous ces espaces permettent d’assembler, de démonter, et de stocker les décors des différents spectacles programmés simultanément. Pour monter les décors lourds et volumineux, rien de plus simple que de prendre l’ascenseur de 400 m² capable de porter 300 tonnes en 12 minutes. Des moyens techniques impressionnants qui font de l’Opéra Bastille une salle d’opéra unique au monde… sans parler de la salle de répétition identique au plateau principal, et totalement isolée du bruit de la scène.

Une acoustique aquatique

L’acoustique de la salle principale doit être finement et précisément étudiée afin de doser la réverbération favorable à la musique instrumentale sans entraver la portée de la voix humaine. Balance délicate à respecter, l’architecte Carlos Ott et l’acousticien Helmut Müller ont étudié la réflexion sonore en utilisant notamment une maquette remplie d’eau, dont les propriétés font qu'elle se comporte de la même manière qu’une onde sonore.

Pour contrer les matières absorbantes des fauteuils et les vêtements des spectateurs, des murs en granit et un sol en bois sont conçus afin d’encourager une meilleure réflexion. Touche finale, un plafond courbé en verre surplombe l’immense salle principale, derrière lequel sont cachés 2 700 tubes fluorescents. Contrairement à l’Opéra Garnier et son magnifique lustre, la salle de Bastille ne possède aucune décoration luxueuse afin de ne pas gêner la trajectoire des ondes sonores.

Un opéra de toutes les couleurs 

Il aura fallu près d’un an pour choisir la couleur des sièges de l’Opéra Bastille ! De nombreuses couleurs sont envisagées, le bleu-gris, le rouge et le noir, mais surtout pas de vert, couleur traditionnellement associée au « méchant » depuis le théâtre antique romain.

Impossible de trancher, la décision remonte donc jusqu’au Président de la République François Mitterrand, qui tranche une fois pour toute en 1987 : « Le noir est une vraie couleur. Ce sera, noir ». Heureusement, le vert est accepté ailleurs dans l’Opéra Bastille notamment dans l’atelier de décoration. Étalés sur deux étages du bâtiment se trouvent aussi un atelier couture, une cordonnerie, une perruquerie, et même une teinturerie.

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Un opéra qui perd vite la face

A peine inaugurée, la salle d’opéra commence à perdre la face… littéralement ! Seulement quelques mois après son ouverture, les pierres attachées à la façade du bâtiment commencent à se fissurer et se détacher. Afin d’éviter un malheur, la salle d’opéra est emballée en 1996 par un filet de 5000 mètres, un « préservatif à trous » selon le journal Libération

Il faudra attendre près de 14 ans pour que la direction de l’opéra et son assureur trouvent un accord, et que les travaux puissent être entamés. Une fois le problème identifié - un agrafage défectueux des pierres - l’intégralité des 28 000 m² de la façade est remplacée, et les filets sont retirés en 2010.

Boudé par les présidents

Malgré l’ampleur et l’investissement symbolique des « Grands Travaux » de François Mitterrand,  l’Opéra Bastille ne figure pas parmi les fiertés du chef d’état : « L'Opéra Bastille, je n'aime pas », avoue le président lors d’une conversation avec Marguerite Duras. Présent pour l’inauguration du 13 juillet 1989, le président n'y retourne qu'une fois, le 19 mai 1993 pour célébrer les 80 ans de Charles Trenet.

François Mitterrand n'est pas le seul chef d’Etat français à bouder l’Opéra Bastille : Jacques Chirac, François Hollande, Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron n'ont jamais franchi le seuil de l'opéra.

Enfin la fin ?

30 ans après son inauguration, l’Opéra Bastille reste une œuvre inachevée. Bien que la salle possède la plus grande scène d’opéra en Europe, il manque au projet de Carlos Ott la dernière corde à son arc : la fameuse salle modulable, abandonnée dans les années 1980 pour des raisons financières et politiques.

Abandonnée, mais néanmoins construite ! Paradoxalement, cet espace a bien été livré : un amphithéâtre et une grande salle vides, deux immenses coques en béton. Ce n’est que récemment, lorsque l’Opéra de Paris a transféré les locaux de construction des décors et de stockage des costumes au sein des Ateliers Berthier à Odéon, qu’une négociation est lancée par le directeur de l'institution Stéphane Lissner pour terminer la salle modulable.

Selon Pierre Boulez, « si vous voulez un opéra à l’écoute de son temps, capable de créer de nouvelles formes lyriques, il faut cette salle modulable ». Sa livraison est prévue pour 2023.

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