Berlioz : Te Deum Op.22

L'Orchestre philharmonique de Radio France joue le Te Deum de Berlioz ©Radio France
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Berlioz : Te Deum Op.22
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Berlioz : Te Deum Op.22

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Kazuki Yamada dirige l'Orchestre philharmonique, la Maîtrise et le Choeur de Radio France, le Choeur d'enfants de l'Orchestre de Paris, la Maîtrise de Notre-Dame de Paris et le Choeur de l'Armée française dans le Te Deum de Berlioz. Extrait du concert donné le 25 mai 2019 à la Philharmonie de Paris.

Le Te Deum de Berlioz est d’une certaine manière un retour à la vie. Après l’échec public de La Damnation de Faust, en 1846, le compositeur est pris d’un doute : « Rien dans ma carrière d’artiste ne m’a plus profondément blessé que cette indifférence inattendue. (…) J’étais ruiné ; je devais une somme considérable, que je n’avais pas. Après deux jours d’inexprimables souffrances morales, j’entrevis le moyen de sortir d’embarras par un voyage en Russie. » Ce voyage, Berlioz l’envisage depuis un certain temps, mais la situation dans laquelle il se trouve le rend presque indispensable. Il part donc pour Saint-Pétersbourg, afin de se refaire une santé morale et financière, avec une pelisse que Balzac lui a prêtée afin d’affronter les grands froids. Sur le chemin du retour, à Riga, il revoit Hamlet, vingt ans après l’éblouissement vécu à l’Odéon, qui lui avait permis de découvrir Shakespeare et, par là, un univers poétique inattendu et foisonnant. À peine rentré en France, en juin 1847, il répond favorablement à l’invitation de l’imprésario Louis-Antoine Jullien, qui lui propose le poste de directeur musical du Théâtre royal de Drury Lane à Londres. Il passe toute la saison 1847-1848 dans la capitale britannique et, en février, apprend qu’une nouvelle révolution vient d’éclater à Paris, laquelle lui donne l’idée de commencer la rédaction de ses Mémoires.

Ces années représentent une période de retour sur soi qui connaît d’autres péripéties tragiques : 1848, c’est aussi l’année de la mort du père du compositeur. Disparition qui accable Berlioz et le fait écrire à sa sœur Adèle : « Je suis maintenant dans un état de découragement complet, il me semble que ma vie n’a plus de but ; instinctivement il y avait toujours dans mes efforts une tendance vers mon père, un désir de le voir les approuver, une espérance qu’il en serait fier… et maintenant… » Les temps sont à la mélancolie, mais Berlioz ne se laisse pas abattre : il entreprend un Te Deum, qu’il conçoit comme un pendant au Requiem de 1837. Contrairement à ce dernier, ce Te Deum ne répond à aucune commande ni à aucune nécessité immédiate. Berlioz l’écrit pour lui-même en des temps de confusion et de médiocrité politique, et imagine qu’il pourra servir plus tard : à l’occasion du mariage ou du sacre de Louis-Napoléon, par exemple. Car l’empire n’est pas loin, Berlioz le sent comme beaucoup d’autres : l’élection de Louis-Napoléon à la présidence de la République, le 10 décembre 1848, n’est qu’un premier pas. De toute manière, république ou empire, mariage ou non, la volonté de Berlioz est intacte, et les esquisses sont prêtes : la Messe solennelle de 1824 (dont l’« Agnus dei » est plus qu’une ébauche du « Te ergo quaesumus » du Te Deum en devenir, et dont le « Resurrexit » contient une phrase qui sera reprise dans le « Christe, rex gloriae » de la nouvelle partition) et une série de projets plus ou moins inaboutis des années 1830, parmi lesquels un oratorio sur le dernier jour du monde, une Fête musicale funèbre à la mémoire des hommes illustres de la France et une symphonie sur le retour de l’armée d’Italie, vont nourrir son inspiration.

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6 600 voix d'enfants

Ainsi voit le jour une nouvelle partition que Berlioz classera parmi ses œuvres monumentales et architecturales dont font déjà partie le Requiem (1837) et la Symphonie funèbre et triomphale (1840), qui puisent en partie aux mêmes sources, et à propos desquelles Berlioz écrira : « C’est surtout la forme des morceaux, la largeur du style et la formidable lenteur de certaines progressions dont on ne devine pas le but final, qui donnent à ces œuvres leur physionomie étrangement gigantesque, leur aspect colossal. » On ajoutera que, fidèle à sa manière, Berlioz mêle dans son Te Deum l’expression et le rituel, le théâtre et le sacré, en modifiant à son gré l’ordre habituel des versets du texte liturgique, comme il l’avait fait pour le Requiem, et ce afin de souligner les intentions poétiques et dramatiques qui nourrissent sa partition. Laquelle tend vers une affirmation : celle de la misère de l’homme en proie à l’effroi devant la majesté de Dieu, comme l’exprime le « Judex crederis » final dont l’immense exclamation sur le mot « speravi » est un cri d’espoir autant que d’épouvante.

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Berlioz achève assez rapidement la composition de son Te Deum mais, à l’occasion d’un nouveau séjour à Londres, en 1851, il vit, selon ses propres termes, « la chose la plus extraordinaire que j’aie vue et entendue depuis que j’existe » : la réunion de six mille six cents voix d’enfants des écoles de charité dans la cathédrale Saint-Paul, qui lui donne l’idée d’ajouter un chœur d’enfants à l’ensemble des exécutants.

Il s’agit maintenant d’attendre l’occasion de faire entendre l’œuvre nouvelle. Le temps passe, Berlioz compose les premières esquisses de L’Enfance du Christ (qui sera créée le 10 décembre 1854), le coup d’État annoncé a lieu (le 2 décembre 1851), mais Napoléon III ignore Berlioz. Le musicien poursuit sa vie errante, est fêté à plusieurs reprises à Weimar à l’instigation de Liszt, écrit la cantate L’Impériale. Ce n’est que le 30 avril 1855, veille de l’inauguration de l’Exposition universelle, que l’œuvre est créée, en l’église Saint-Eustache, dont Berlioz a pu éprouver l’acoustique trois ans plus tôt à l’occasion d’une exécution du Requiem. Précisément : « Le Requiem a un frère », écrit-il à Liszt le soir même de la création. Et il ajoute : « Quel malheur que je sois l’auteur de cela ! Je ferais un article curieux. » Mais le Te Deum de Berlioz est peut-être, de toutes ses partitions, la plus chère au cœur des Russes. Le compositeur fit en effet don du manuscrit de cette œuvre à la bibliothèque Saltykov-Chtchédrine de Saint-Pétersbourg, où elle se trouve encore, et ce parce que la première idée du Te Deum lui vint peut-être alors qu’il se trouvait dans cette ville au printemps 1847.

Architectural, le Te Deum l’est par la dimension de ses mélodies, par l’ampleur de ses progressions (« Tibi omnes », « Judex crederis »), par l’effectif qu’il requiert, par la manière dont il se sert de l’espace. Il n’y a pas ici d’orchestres de cuivres répartis aux quatre angles de la masse chorale et instrumentale, comme c’est le cas dans le Requiem : 

« Dans le Te Deum c’est l’orgue qui, d’un bout de l’église, converse avec l’orchestre et deux chœurs placés à l’autre bout, et avec un troisième chœur très-nombreux de voix à l’unisson, représentant dans l’ensemble le peuple qui prend part de temps en temps à ce vaste concert religieux »

l'archaïsme et ses délices

La partition, comme toujours chez Berlioz, joue avec la dynamique et les contrastes ; ses couleurs ne sont jamais saturées, malgré l’abondance des voix et des instruments. Elle fait alterner les hymnes (« Te Deum », « Christe, rex gloriae », etc.) et les prières (le doux et enveloppant « Dignare »), ménageant ainsi des moments de recueillement entre des mouvements conçus comme des envolées ou des crescendos implacables. David Cairns insiste sur « la douce sonorité des voix de femmes » qui interviennent seules, pendant quarante mesures, au début du « Tibi omnes » : « La source, j’en suis convaincu, en est l’expérience, jamais oubliée, mais maintenant vivement revécue, des jeunes filles chantant l’hymne eucharistique à la première communion du petit Berlioz de onze ans. »

Il est possible même d’entendre dans la partition des échos de la musique qu’on appelle baroque : certains commentateurs n’hésitent pas à évoquer Bach. Il est vrai que Berlioz avait été frappé à Berlin, en 1843, par une exécution de la Passion selon saint Matthieu : « Le premier tutti des deux chœurs m’a coupé la respiration ; j’étais loin de m’attendre à la puissance de ce grand coup de vent harmonique. » D’autres, comme Claude Ballif, goûtent le « superbe ré majeur – ton béni par Haendel » du « Christe, rex gloriae » et le solo de ténor « tourné vers les effets théâtraux des cantates d’église du XVIIIe siècle » du « Te ergo quaesumus » qui suit. Il est vrai aussi que les couleurs délicieusement archaïques de L’Enfance du Christ (dont le noyau, rappelons-le, est un pastiche de chœur pastoral du XVIIe  siècle) sont également passées par là. 

Malgré la densité polyphonique de l’œuvre cependant, la partition reste d’une souveraine clarté, Berlioz maîtrisant là plus que jamais la complexité de sa conception. Mahler s’en souviendra, un demi-siècle plus tard, au moment d’aborder la composition de sa Huitième Symphonie qui elle aussi convoque un chœur, un chœur d’enfants, un vaste orchestre et un orgue. 

Le Te Deum comporte six mouvements pour voix et orchestre, mais Berlioz a prévu deux mouvements instrumentaux supplémentaires, qui ne doivent être joués, de l’aveu même du compositeur, que « dans une cérémonie d’action de grâces pour une victoire, ou toute autre cérémonie se ralliant par quelque point aux idées militaires ». Si la « Marche » figure dans la partition imprimée, le « Prélude », lui, fit l’objet d’un remords de Berlioz qui choisit de ne pas le retenir en raison des « modulations douteuses » qui s’y trouvent, comme il l’explique à Liszt. Il ne le détruisit pas pour autant. Nous ne bouderons pas notre plaisir, aujourd’hui, d’entendre ce « Prélude » et cette « Marche pour la présentation des drapeaux » en dehors de toute célébration nationale. Le Prélude reprend, dans des sonorités cuivrées, le thème principal du « Te Deum » initial. Quant à la Marche, il s’agit d’une page particulièrement allante, qui va crescendo dans son instrumentation, fait intervenir un saxhorn aigu et, à la fin, convoque un ensemble de harpes qui lui confèrent une irrésistible majesté.

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