Pourquoi le créateur fou est un mythe dans le monde de la musique

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Pourquoi le créateur fou est un mythe dans le monde de la musique

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Les mains du compositeur Carl Orff sur une de ses partitions ©A.DagliOrti/GettyImages
Les mains du compositeur Carl Orff sur une de ses partitions ©A.DagliOrti/GettyImages

Souvent les grands compositeurs sont perçus comme des fous, des excentriques, voire des malades mentaux. Mais existe-t-il vraiment un lien entre créativité, génie et folie ?

Certains compositeurs entendaient des voix et des mélodies dans leur tête qu’ils retranscrivaient ensuite sur leurs partitions vierges. Schumann , Haydn , Chostakovitch Étaient-ils fous ? Malades ? Était-ce un frein ou, au contraire, une source précieuse d’inspiration ?

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Scientifiques et psychologues se sont interrogés sur les liens entre créativité et folie pour tenter de définir dans quelle mesure l’un influence l’autre. L’image du créateur fou s’est développée au fil des époques pour devenir un mythe plus qu’une réalité. Un mythe pour romancer l’histoire de la musique, mais aussi pour tenter de donner une explication rationnelle à la popularité de tels génies, ou à l’existence même de chefs-d’oeuvre.

Qu’est-ce qu’un génie ?

« Quand on parle de génie, ce n’est souvent pas assez précis », analyse Benjamin Frantz, du Lati, Laboratoire Adaptations Travail-Individu. « Le génie, c’est ce qui est inhabituel, extrême, beau », poursuit l’ingénieur. D’un point de vue scientifique, un génie est une personne capable de produire quelque chose de hautement original. Dans un article de la revue Sciences et Avenir , Dean Keith Simonton, chercheur en psychologie, complète cette définition en avançant : « Les génies sont ceux qui “font l’histoire” par leur contribution dans un domaine de créativité ou de leadership ».

L’histoire de la musique révèle de nombreux génies parmi les compositeurs, comme Mozart, Bach, Beethoven, Chopin, Wagner, Haydn et bien d’autres. Mais ces artistes sont devenus des génies avec le temps. A leur époque, ils pouvaient être connus, voire reconnus comme des compositeurs talentueux ou des musiciens virtuoses, mais rarement considérés comme des génies. « Le caractère “génial” dépend de la culture et de l’époque dans laquelle la production est créée », explique Benjamin Frantz.

Intervient alors le jugement, et un distinguo important entre la production et la personne à l’origine de cette production. Qui est « génial », l’oeuvre ou l’artiste ? « Les personnes très créatives produisent beaucoup », commente l’ingénieur du laboratoire de recherches, « et elles ne produisent pas que des choses géniales… ». Ce qu’avance Benjamin Frantz repose sur une logique : en musique, plus on compose, plus on a de chances d’écrire une oeuvre géniale.

Avant d’être un génie, Mozart est un compositeur créatif, talentueux, inspiré, et surtout très productif. Parmi ses quelques 600 oeuvres, toutes ne relèvent pas du génie, mais il est plus facile de faire ressortir les pièces les plus réussies et inspirées, et de les considérer comme « géniales ». Dans cette logique, les liens entre quantité et qualité sont évidents à tisser.

Comment naît un chef-d'oeuvre ?

Restons sur le cas Mozart. L’opinion publique lui attribue volontiers des « coups de génie ». Au fond qu’est-ce que c’est ? On imagine le compositeur, soudainement inspiré, coucher en une nuit sur le papier une symphonie. Si dans les faits cet épisode a existé, ce n’est pas véritablement un coup de génie. Car le génie n’arrive pas par miracle, il lui faut une « période d’incubation ».

Cette période correspond au processus créatif. « Il y a d’abord une idée qu’il faut laisser mûrir, c’est la période d’incubation, puis la personne qui crée laisse décanter et quand il se remet au travail, il voit plus clair et peut produire quelque chose », rapporte l’ingénieur Benjamin Frantz. Cette période de pause explique, en partie, un comportement similaire chez les compositeurs : ce besoin de se retirer du monde pour écrire.

D’où la déconstruction d’un autre mythe : la solitude des génies. « Personne n’a de bonnes idées en étant tout seul dans son coin », avance Benjamin Frantz. Les grands compositeurs ne vivaient pas tous reclus de la société. Au contraire, la plupart s’ancraient dans la société en tant que professeur, concertiste ou maître de chapelle… Et ils se retrouvaient beaucoup entre artistes, écoutaient réciproquement leurs musiques ou les musiques de leurs prédécesseurs.

Cette interaction avec les autres leur permet de se ressourcer et de trouver de nouvelles idées, des informations, des images. Tout ce processus fait partie de la période d’incubation. Une fois ces ressources puisées et accumulées, certains compositeurs exprimaient alors le besoin de se retrouver seul pour écrire. Image qui, dans l’imaginaire collectif, les associe à des originaux, voire des marginaux.

Pourquoi les compositeurs ne sont pas (si) fous

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« La plupart des génies ne sont pas très malades parce qu’ils sont des créateurs », avance Philippe Brenot, auteur du livre Le génie et la folie, en peinture, musique et littérature, dans une vidéo publiée par l’Obs. Pour le psychiatre, les artistes sont moins touchés par les névroses ou les maladies mentales, et ce grâce à leur art. « Le génie va avoir une sorte d’équilibre grâce à sa création. Il va créer une oeuvre qui fait tampon avec sa maladie », poursuit Philippe Brenot dans son intervention.

De plus, le monde de la musique semble être un domaine épargné par les troubles psychologiques. Certes, de nombreux compositeurs avaient leurs excentricités comme la peur du chiffre 13 de Schoenberg, le mysticisme de Gounod, l’humour excessif et décalé d’Erik Satie … Mais très peu étaient véritablement malades, ou fous. Seul Robert Schumann présentait de graves troubles qui l’obligèrent à passer la fin de sa vie dans un asile.

Pourquoi les compositeurs, par rapport aux peintres ou aux auteurs, sont-ils plutôt épargnés par la folie ? « Il y a dans la musique des contraintes si fortes, qu’il est impossible d’être complètement fou pour composer », analyse Benjamin Frantz. En effet, la musique pose un cadre plus ou moins strict, selon les époques, avec une durée dans le temps, une harmonie à respecter ou encore une linéarité de l’oeuvre.

Toutes ces contraintes forcent le compositeur à respecter un ordre établi pour écrire de la musique, et à suivre des règles propres à la composition, apprises naturellement ou non. L’expression de la folie est régulée par ce cadre, même si la liberté trouve aussi sa place et que les meilleurs compositeurs ont toujours su contourner ces règles…

L’histoire rentiendra ces « coups de génie » de compositeurs en avance sur leur époque. Et leurs excentricités savoureuses seront prises pour de la folie.

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