Marlène Baleine, l'opéra jeune public qui aborde le harcèlement scolaire

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Marlène Baleine, l'opéra jeune public qui aborde le harcèlement scolaire

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Marlène Baleine à l'Opéra national du Rhin
Marlène Baleine à l'Opéra national du Rhin
- Klara BECK

Comment l'opéra jeune public aborde le harcèlement scolaire et l'acceptation de soi ? Rencontre avec la metteuse en scène Bérénice Collet, à l'occasion de la création de Marlène Baleine à l'Opéra national du Rhin, qui investit ce sujet sensible.

Marlène est une petite fille en surpoids, mal dans sa peau, qui déteste les mercredis et les sorties scolaires à la piscine, parce qu'elle y est exposée aux moqueries incessantes de ses camarades. Marlène Baleine, lui lancent-ils lorsqu'elle plonge dans le bassin. 

Racontée dans un album de jeunesse signé par l'auteur Davide Calì et illustré par Sonja Bougaeva, l'histoire a rencontré un succès international, porté par de nombreuses traductions ainsi que par une adaptation en court métrage. Mais ce n'est pas tout : le livre Marlène Baleine a inspiré l'opéra jeune public éponyme actuellement à l'affiche de l'Opéra national du Rhin, adapté et mis en musique par l'auteure allemande Anna Wenzel. 

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L'histoire de Marlène, c'est l'histoire de 7 à 10% des écoliers français qui subissent le harcèlement scolaire. Pourtant, ce sujet fait rarement l'objet d'adaptations dans le répertoire lyrique jeune public. Comment en parler par le biais d'un opéra ? Pour en savoir plus, nous avons rencontré la comédienne et metteure en scène Bérénice Collet, qui signe avec cette nouvelle production sa première mise en scène à l'opéra du Rhin. 

France Musique :  Comment est né ce projet ?

Bérénice Collet :  A l'origine, il y avait la volonté d'Eva Kleinitz, ancienne directrice de l'Opéra du Rhin disparue prématurément en mai dernier, de porter cette histoire sur scène. Ce qui l'a attirée, c'était justement le défi de parvenir à aborder, par le biais de l'opéra, le sujet de l'acceptation de soi et du harcèlement scolaire. 

Marlène Baleine est un spectacle destiné aux enfants à partir de 5 ans. Comment le livret aborde-t-il ce sujet complexe et sensible pour qu'il soit compréhensible des plus jeunes comme des plus grands ?

Sur ce point, le livret suit d'assez près la trame du livre. L'histoire y est racontée de façon succincte, mais limpide et très directe. Chaque phrase va droit au but. D'un autre coté, pour en faire un spectacle d'une heure, il a fallu développer certains personnages, et notamment l'introspection de Marlène. Le spectacle est en deux temps : le début où l'on découvre Marlène mal dans sa peau, malheureuse, avec les autres qui ne l'épargnent pas. Puis la seconde partie, dans laquelle Marlène commence à s'accepter comme elle est et change simplement sa façon de penser. C'est à ce moment-là que le regard des autres commence à changer sur elle.

Avez-vous travaillé votre mise en scène avec l'auteure du livret ?

Nous avons collaboré à distance. Ce qui m'a séduite, c'est le message contemporain de l'histoire, qui résonne avec l'actualité et qui fait réfléchir.  Pour le rendre accessible aux plus jeunes enfants, nous avons imaginé un spectacle très visuel et très peu bavard. D'autant plus que dans le projet d'Anna Wenzel, l’histoire est mise en musique à partir d'une sélection de chansons de la renaissance (interprétées par la Chapelle rhénane), ce qui crée un contraste intéressant entre le contexte contemporain de l'histoire et la musique ancienne. J'ai voulu retrouver ce dialogue dans les deux langages théâtraux dans ma mise en scène : d'un côté la vidéo et un décor contemporain de la piscine, et de l'autre la machinerie de théâtre en bois peint à l'ancienne. J'ai introduit plein de surprises visuelles et le fait qu'on chante sur les chansons de la renaissance, qui sont musicalement assez simples, rend le texte traduit en français très compréhensible et facile à suivre.

Comment le harcèlement subi par Marlène et son cheminement vers l'acceptation de soi sont-ils abordés dans le livre et comment les avez-vous traduits dans la mise en scène ?

Le livre aborde le problème, mais avec une certaine légèreté, avec beaucoup d'humour. Dans ma mise en scène, j'ai travaillé sur l'implication du public. En fait, en tant que parents d'enfants jeunes, on se rend compte que faire attention aux autres, c'est compliqué pour eux. La malveillance n'est pas volontaire et ils ne se rendent souvent pas compte que d'énoncer quelque chose de vrai - Marlène est grosse, par exemple - peut blesser. Donc j'ai voulu qu'il y ait un moment dans le spectacle où le public est dans le rôle du harceleur. Ainsi à un moment donné les musiciennes encouragent le public à prendre parti et à crier sur Marlène. L'instant d'après il y un gros plan sur son visage et sur son regard quand elle se fait malmener, et on comprend tout de suite l'effet que cela fait. 

Mais je peux vous dire que très peu d'enfants se sont joints aux musiciennes, il y a eu tout de suite beaucoup d'empathie pour Marlène et les enfants ont vite choisi leur camp. 

En lui faisant investir les sujets importants du monde d'aujourd'hui, on refait de l'opéra un art vivant, connecté au monde auquel il appartient et non simplement un art élitiste et muséal pour lequel il convient de recevoir une initiation. C'est bon signe, c'est que le genre se renouvelle et se débarrasse de ses complexes !

La question du harcèlement scolaire est rarement abordée dans les opéras jeune public, alors que le théâtre l'aborde plus facilement. Pourquoi pensez-vous que c'est le cas ?

Il y a un autre exemple, une coproduction européenne soutenue par le réseau ENOA :   Be my superstar qui tourne en ce moment.  C'est un opéra interactif qui vient d'être créé sur cette question, mais à destination des adolescents à partir de 14 ans. 

Pour revenir à votre question, je ne suis pas certaine de connaître la réponse. Il est relativement nouveau de considérer l'opéra jeune public comme un moyen de s'adresser aux enfants sur des questions qui les concernent au quotidien, contrairement au théâtre. Le harcèlement scolaire est aussi un sujet dont on commence à peine à prendre la mesure, et comme les temps de production à l'opéra sont plus longs qu'au théâtre, cela explique peut-être aussi ce décalage. 

L'opéra jeune public comme moyen d'aborder des thématiques sociales ou sociétales (autre que des sujets d'histoire, ou symbolistes) va certainement se développer de plus en plus. On a longtemps vu dans l'opéra jeune public avant tout le fait de simplement faire venir les enfants à l'opéra et les initier à ce genre.

En lui faisant investir les sujets importants du monde d'aujourd'hui, on refait de l'opéra un art vivant, connecté au monde auquel il appartient, et non simplement un art élitiste et muséal pour lequel il convient de recevoir une initiation. C'est bon signe, c'est que le genre se renouvelle et se débarrasse de ses complexes !

Marlène Baleine opéra jeune public est à l'affiche de l'Opéra national du Rhin jusqu’au 26 janvier, une coproduction avec le Saarländisches Staatstheater de Sarrebruck, interprété par Eugénie Joneau, Clara Guillon, Jacob Scharfman, Florentin Poulain, Clémence Schaming, Liselotte Emery, Marie-Andrée Joerger et La Chapelle Rhénane.

Le livre Marlène Baleine est disponible aux éditions Sarbacane.

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