A Strasbourg, fermeture de Wolf, l'un des plus anciens magasins de musique de France

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A Strasbourg, fermeture de Wolf, l'un des plus anciens magasins de musique de France

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Le magasin Wolf Musique inaugure une plaque commémorative témoignant du passage de Richard Strauss et du couple Gustav et Alma Mahler dans la boutique en 1905
Le magasin Wolf Musique inaugure une plaque commémorative témoignant du passage de Richard Strauss et du couple Gustav et Alma Mahler dans la boutique en 1905
- Wolf Musique

Wolf Musique, institution strasbourgeoise ouverte il y a 195 ans n'a pas survécu à la crise économique liée au coronavirus. Le magasin de musique a vu passer nombre de musiciens importants dont Richard Strauss et Gustav Mahler.

Une page de l'histoire musicale alsacienne vient de se tourner. A Strasbourg, Wolf Musique, plus ancien magasin de musique de province, a baissé son rideau définitivement samedi 13 juin 2020, après 195 années d'existence. Fondée en 1825 par Seeligman Wolf, la boutique a commencé par vendre des partitions et des instruments au début du XXe siècle puis des disques. Depuis 1997, le commerce s'était entièrement consacré à la vente d'instruments et de partitions. 

Comme de nombreux magasins de musique en France ces dernières années, Wolf Musique avait vu son activité fatalement concurrencée par les mastodontes de la vente en ligne. La fermeture de la boutique pendant le confinement lui a été fatale. "Au tout début de la crise, j'ai pris les devants, explique Harry Lapp, propriétaire du magasin depuis son rachat en 1980. J'ai senti que si on n'agissait pas vite, nous risquions le dépôt de bilan". Début mars, le propriétaire de Wolf Musique trouve un arrangement avec son plus gros concurrent, Arpèges, qui lui rachète son stock et reprend les garanties des instruments venus par Wolf pendant 5 ans. 

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Le magasin comptait 6 salariés, dont 4 d'entre eux seront licenciés économiques. Dans les années 1960, Wolf Musique connaît l'âge d'or avec 49 employés répartis dans 9 boutiques. "C'était la Fnac de l'époque. Nous vendions des disques et du matériel hi-fi, tous les jeunes de Strasbourg venaient chez nous après les cours pour écouter les nouveautés, pour flirter dans les cabines d'écoute" explique Harry Lapp. Quand la vraie Fnac est arrivée en 1978, Wolf Musique a réussi à résister pendant une dizaine d'années, notamment sur les ventes de disques de musique classique.  

Lieu prisé des musiciens prestigieux 

Le séisme provoqué par l'arrivée des grandes surfaces contraint Wolf Musique à se recentrer sur la vente d'instruments de musique et de partitions. Un retour aux sources pour ce magasin qui au cours de sa longue histoire a vu défiler dans ses murs nombres de musiciens légendaires. Car l'idée de Lazare Wolf, fils du fondateurs, est d'ajouter à son activité de vente, l'organisation de concerts. Le célèbre chef d'orchestre Hans von Bulöw lui écrit pour l'encourager dans cette démarche. 

A cette époque, Wolf profite pleinement de la situation géographique de Strasbourg pour vendre partitions et instruments français en Allemagne, et vice-versa. Les plus grands chefs de l'époque, comme Wilhelm Furtwängler passent forcément par la boutique un moment ou à un autre. Le magasin organise des fêtes musicales avec l'Orchestre philharmonique de Berlin, celui de la Scala de Milan, l'Orchestre Colonne vient s'y produire. Plus tard, en 1905, un festival international de musique est créé. L'affiche est incroyable : le même soir se succèdent à la baguette Richard Strauss et Gustav Mahler qui dirigent leurs oeuvres. 

La présence des deux immenses musiciens donnera naissance à l'anecdote la plus célèbre du magasin Wolf. Richard Strauss tient à présenter à Gustav et sa femme Alma Mahler son nouvel opéra Salomé, qui sera créé à la fin de l'année 1905. Le compositeur choisit l'un des nombreux pianos du magasin pour jouer et chanter la quasi intégralité de l'oeuvre, devant des clients médusés. Une plaque commémorative est d'ailleurs installée en vitrine pour célébrer ce moment. 

A la mort de Lazare Wolf, ses deux fils reprennent l'activité et poursuivent l'organisation de concerts. Sur une initiative de Charles Munch, pas encore chef d'orchestre mais premier violon solo du Gewandhaus de Leipzig, les propriétaires du magasin de musique vont pérenniser le festival de Strasbourg, dont la première édition eut lieu en 1932 avec le Philharmonique de Berlin sous la direction de Furtwängler (en faillite, le festival s'est arrêté en 2014). Se succèdent alors les musiciens les plus prestigieux : le trio Cortot - Thibaud - Casals, Georges Enesco, Arthur Schnabel ou Otto Klemperer en 1936 qui présente une intégrale des symphoniques des Beethoven.

En 2020, cette période faste paraît bien lointaine à Harry Lapp. Lui qui a dirigé le festival de Strasbourg de 1982 à 2013, se souvient aussi de musiciens prestigieux, comme Isaac Stern qu'il avait réussi à faire venir jouer à Strasbourg. "Il refusait de se produire en Allemagne en raison du passé nazi du pays, alors quand il est venu à Strasbourg, le public allemand s'est jeté sur les places. Tout a été vendu en moins de 48h et il y avait 80% d'allemands dans le public !

Le magasin Wolf a ensuite lentement décliné. L'explosion des ventes d'instruments en ligne, la mort soudaine du directeur du magasin qui réalisait à lui tout seul un tiers du chiffre d'affaire avec la vente des pianos, ou encore les attentats de Strasbourg en 2015, ont tué à petit feu l'activité. Harry Lapp organiste toujours des concerts mais se dit très inquiet pour la fin de l'année 2020. "Les gens peuvent s’asseoir côte à côte dans un train mais pas dans une salle de concert ! Personne ne veut prendre de risques pour maintenir des spectacles dans les prochains mois" explique-t-il. 

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