Trio Elégiaque, Alireza Ghorbani, Sirventès, Antonio Castrignano, Ferenc Vizi

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Emission enregistrée en public au studio 105, mardi 3 février, de 19h30 à 21h.

Nous avions souhaité inviter ce soir Giovanni Mirabassi pour nous parler d’Aldo Ciccolini. Ne pouvant être là avec nous à cet enregistrement, voici la lettre qu’il nous a confié :

« Bonsoir,

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*Ne pouvant malheureusement être parmi vous ce soir je confie cette lettre ouverte aux bons soins de mon amie Arièle Butaux afin qu'elle la lise publiquement à mon maître, Aldo Ciccolini. *

Cher Aldo,

Voici venue l'heure des adieux. Bien que tu m'aies appris à accepter l'inévitable solitude inhérente à nos choix de vie, à la considérer presque comme un privilège, permets-moi pour une fois d'être mauvais élève, car je l'avoue, je me sens un peu plus seul que de coutume ce soir, en apprenant ton décès. Je l'ai pourtant bien apprise, cette leçon-là, je l'ai appliquée avec soin pendant vingt ans. Je réalise aujourd'hui combien, en plein désert, il est plus facile de se passer d'eau lorsque l'on sait sa gourde pleine à ras bord : au milieu de tant de barbarie où irais-je m'abreuver de cette infinie bienveillance dont tu étais la source, qui a sauvé ma vie et nourri mon art jusque-là ? Remarque, il n'est pas question ici de t'adresser le moindre reproche, bien au contraire. Je doute qu'il existe de mot assez fort pour exprimer pleinement le sentiment de gratitude qui emplit ma poitrine en cet instant. Seulement voilà, les départs forcent le souvenir, et le tien fait défiler devant mes yeux le paysage cahoteux de ma vie, depuis ce train de nuit qui m'a emmené à la Gare de Lyon un jour de février de 1992, jusqu'au jour où par le plus grand des hasards toi, le pianiste légendaire, passant par là, t'es penché sur mon cas. À vingt-deux ans, jazzman autodidacte - serveur privé d'études par la haine ordinaire de mon père pour lui-même, je n'étais tellement pas destiné à ce rendez-vous que notre rencontre me force presque à croire au destin. Tu es venu vers moi, tu m'as écouté jouer, puis, avec une simplicité déconcertante tu m'as rendu mes ailes par ta simple caution, tout en me montrant, avec cette délicatesse sans ambages qui t'a toujours été propre, que le prix nécessaire pour pouvoir voler est pure abnégation, que pour pouvoir entrer dans le temple il va falloir se déchausser de son ego et servir la musique sans retenue, que, pour que les rêves emprisonnés entre les lignes d'un texte prennent vie dans le cœur du public il est nécessaire de les nourrir de sueur et de sang. Car tout est là, eux, les gens, nous tous pauvres humains, nous avons besoin d'aimer et d'être aimés, et de rêver, nous avons tellement besoin de ces rêves, de ces idées, de la beauté d'un monde meilleur; qu'importe au fond quelques gouttes de notre sang, qu'importe l'effort, si c'est pour rappeler l'histoire du meilleur de notre nature, s'opposer au pire qui avance à grands pas. Il n'y a au fond rien de plus réconfortant que la beauté du geste, que tu as élevé au rang de but de ta vie. Les souvenirs de cette période, comme des fulgurances, balisent mon chemin quotidien depuis. Cette infinie bienveillance m'éclaire encore, et ce soir brille de mille feux. Repose en paix.

Giovanni Mirabassi ».

Aldo Ciccolini et Giovanni Mirabassi
Aldo Ciccolini et Giovanni Mirabassi

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