Salomone Rossi, fidèle à Dieu comme à la cour

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Salomone Rossi, fidèle à Dieu comme à la cour

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Salomone Rossie - ville de Mantoue
Salomone Rossie - ville de Mantoue

Le Matin des musiciens ce lundi vous réserve une double découverte : de l'ensemble israélien I Profeti della Quinta, et de Salomone Rossi, un contemporain de Monteverdi injustement oublié. Voici quelques éléments pour préparer votre écoute.

⇒ Découvrez l'oeuvre de Salomone Rossi, mise en perspective par l'ensemble israélien I Profeti della quinta, dans le Matin des musiciens, suivie par la diffusion de leur concert donné le 9 avril 2014 au Studio 106 de la Maison de Radio France.

Salomone Rossi dit l'Ebreo, de son vrai nom Salomone Me-ha-Adumin, est un compositeur et violoniste italien. De confession juive, il est le premier de toute l’histoire de la musique à avoir composé des psaumes polyphoniques en hébreu. Portrait d'un compositeur méconnu, contemporain de Monteverdi et musicien à la cour de Mantoue, en complément au Matin des musiciens d'Edouard Fouré Caul-Futy.

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Compositeur à la cour de Mantoue

A la fin du XVIe siècle, Mantoue est une cité prospère, un des piliers culturels et artistiques de l’Italie de la Renaissance, où règne d’une main de fer la famille puissante mais éclairée des ducs de Gonzague. Avec l’arrivée au pouvoir du sulfureux Vincent Ier de Mantoue en 1587, passionné des arts, grand collectionneur et féru de plaisirs et des fêtes, sa cour attire les plus beaux esprits de la fin du Cinquecento : intellectuels, architectes, savants et artistes tels que Peter Paul Rubens, Le Tasse ou Galilée ont séjourné à la cour des ducs de Gonzague.

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Les musiciens viennent des quatre coins d’Italie, car le duc est mélomane. C’est ainsi qu’il fait venir Claudio Monteverdi, compositeur d'une belle notoriété, mais sollicité en tant qu’instrumentiste et chanteur de sa flamboyante chapelle ducale, confiée à cette époque à la direction artistique de Giaches (Jacques) de Wert, un flamand italianisé de 56 ans, réputé être l’un des plus grands compositeurs de son époque.

C’est dans ce contexte que Salomone Rossi, violoniste virtuose, intègre la chapelle des ducs de Gonzague, en 1587. Issu d’une famille juive installée à Mantoue depuis des générations, il bénéficie , comme l’ensemble de la communauté juive, du protectorat de la famille ducale. Sur 50 000 habitants de Mantoue, la communauté compte 2 300 membres, neuf synagogues et 24 rabbins.

Salomone Rossi fait à Mantoue ses premières armes de musicien et reçoit une formation musicale savante dans une des écoles de musique de la ville. Il n’est pas seulement instrumentiste ; il s’affirme rapidement comme compositeur, travaillant aux cotés de Monteverdi dès son arrivée à la cour et jusqu’en 1612. Pendant sa période mantouane, le génial créateur de l’Orféo (1607) publiera ses 3e, 4e et 5e livres des madrigaux la révolution est en marche : la polémique entre les « anciennes » et « modernes » est enclenchée.

Une œuvre dans le vent des réformes

L’œuvre de Salomone Rossi témoigne de la naissance du style nouveau, mais ses œuvres vocales en italien - six livres de madrigaux, un livre de canzonette et un livre de madrigaletti ** -** restent attachées aux traditions. Il écrit aussi de la musique instrumentale : sinfonie, gaillardes et sonates. Violoniste dans l'âme, Salomone Rossi se montre dans sa musique instrumentale bien plus novateur : sa mélodie est riche en idées et en affects, et il déploie les harmonies audacieuses bien plus proches du style prébaroque naissant. Il innove aussi dans la forme : les ricercare, canzone et danses de la renaissance tardive cèdent progressivement la place aux formes « modernes » : pièces en trio pour deux voix supérieures et continuo, et ses Sonates, prémices de la forme qui marquera la musique instrumentale du 17e siècle.

Salomone Rossi est très populaire : sa musique instrumentale connaît plusieurs éditions successives à Venise entre 1607 et 1622. Ses œuvres sont diffusées dans l'Europe entière : le roi de Portugal, Jean IV de Bragance (1604-1656), possède les œuvres complètes de Salomone Rossi. Il jouit d’une indéniable considération à la cour et est parfaitement intégré dans la société, au point que Vincent l’exempte du port de l’écusson de l’étoile juive, signe distinctif imposé à la communauté depuis le 13e siècle.

I Profeti della Quintapar francemusique

**L’apport le plus original de Salomone Rossi à l’histoire de la musique, reste cependant le recueil imprimé à Venise en ** 1622-23 sous le titre de Hashirim asher lish’lomo ** ** (Cantiques de Salomon) : trente-trois chants sacrés pour chœur de trois à huit voix sans la basse continue, en hébreu, sur les psaumes de David et les hymnes tirés de l’Ancien testament.
Deux points sont ici à relever concernant l’originalité de ce recueil : le parti pris « conservateur » du compositeur et le retour volontaire au « style ancien » d’un Lassus ou d’un **Viadana, ** et la rencontre entre les canons de la musique polyphonique de la Renaissance avec les codes du service religieux synagogal.

Autour de 1600, un courant réformateur agite les communautés juives installées en Italie : soutenus notamment par le rabbin Léon de Modène, certains représentants progressistes souhaitent réintroduire dans le service synagogal la musique polyphonique, bannie par les courants orthodoxes attachés aux chants monodiques séculaires. La dédicace du recueil de Rossi à Moïse Sullam, son protecteur progressiste, et la préface rédigée par le rabbin Léon de Modène, laissent croire que Rossi voulait apporter sa pierre à la réforme de la musique synagogale, en l’ouvrant davantage aux courants musicaux de ses contemporains. D’où la précision sur la première page du recueil par le compositeur lui-même : « Une nouveauté dans le pays ».

Nouveauté, d’autant plus que Salomone Rossi irrigue son écriture « à l’ancienne » d’éléments nouveaux, et porte une attention particulière au traitement et à la compréhension du texte. S’y ajoute le problème majeur auquel a du se confronter Salomone Rossi quant à la manière d’adapter le texte en hébreu à l’accentuation, à la syntaxe, et à la structure polyphonique de sa musique.

Cette réforme, qui s’inscrit dans un contexte de durcissement des rapports intercommunautaires (le ghetto juif de Mantoue est érigé en 1612, et en 1630, les Juifs sont bannis de la ville), ne parviendra finalement pas à s’imposer dans l’ensemble des synagogues italiennes, mais les Cantiques de Salomon font date et ont été probablement chantés dans les synagogues à Modène et à Venise. Même si l'oeuvre de Salomone Rossi n'a pas résisté à la force avec laquelle le génie de Monteverdi s'est imposé dans l'histoire de la musique, elle a mérité une place de choix, aux côtés des compositeurs de premier ordre, tous actifs pendant l'âge d'or de la Mantoue des Gonzague, tels **Ludovico Viadana, Jacques de Wert ou Giovanni Gastoldi. **

RF8 : playlist à écouter ici.

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